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Tuesday
Mar262013

Reflexions sur la reconstruction

Port-au-Prince, HAÏTI 22 mars 2013 – Les médias haïtiens et étrangers ont rédigé maints articles sur le processus de la reconstruction.

Ayiti Kale Je (AKJ), un partenariat journalistique, s’est donné comme mission d’enquêter sur le sujet depuis bientôt trois ans. Avec cet article, AKJ a décidé d’aller vers les grands acteurs pour les interroger sur ces trois aspects de la reconstruction :

1)    l’aide, dépendance et souveraineté

2)    la Commission Intérimaire pour la Reconstruction  d’Haïti (CIRH)

3)    les questions de vision, « leadership » et coordination

AKJ a effectué plusieurs demandes d’interview. Quelques-unes lui ont été refusées, notamment des ministres du gouvernement et certains parlementaires haïtiens [1].  Toutefois, AKJ a pu compter sur quelques acteurs, nationaux et internationaux, importants du processus de la reconstruction tels que : quatre anciens membres de la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH), trois personnes travaillant ou ayant travaillé au sein du gouvernement, et les représentants en Haïti de la Banque Mondiale (BM), de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) et du Fonds Monétaire International (FMI).

Photo de couverture - un résident creuse un trou dans le camp de Tabarre Issa. Lire plus ici.
Photo: Fritznelson Fortuné

Aide, dépendance et souveraineté

Bien avant le séisme du 12 janvier 2010, Haïti dépendait majoritairement de l’aide internationale pour financer les projets et programmes du gouvernement ainsi que son budget. L’aide des bailleurs bilatéraux et multilatéraux demeure une ressource beaucoup plus importante que les recettes internes du gouvernement haïtien.

Avec le tremblement de terre, cette situation s’est largement aggravée.

Pour faire face à la situation critique post-séisme, l’aide internationale apportée à Haïti se divise en deux catégories: l’aide d’urgence, concentrée sur les efforts de secours humanitaire et l’aide à la reconstruction, destinée à financer la reconstruction et le développement à long terme.

Cependant, de même que l’aide octroyée à Haïti avant le tremblement de terre, la majorité de cette aide a contourné les structures de l’Etat haïtien pour aboutir directement aux mains des contractants privés, des « ONG » ou « organisations non gouvernementales », les agences bilatérales et multilatérales, et d’autres instances non-étatiques.

Graphique indiquant le montant de l'aide de la reconstruction qui est allé
au gouvernement haïtien (bleu foncé)
.
Source : Bureau de l'Envoyé spécial de l'ONU pour Haïti Télécharger le rapport [PDF]

Seulement un pour cent (1 %) de l’aide d’urgence a été fourni au gouvernement d’Haïti et, en ce qui a trait à l’aide de la reconstruction, les bailleurs bilatéraux ont décaissé sept pour cent (7 %) vers le gouvernement haïtien en utilisant des systèmes nationaux tandis que les bailleurs multilatéraux ont décaissé 23 pour cent vers le gouvernement en utilisant des systèmes nationaux. Comment les interviewés perçoivent cette question ?

Michèle Oriol, directrice exécutive du Comité Interministériel pour l’Aménagement du Territoire (CIAT), une agence du gouvernement chargée de la coordination des actions des six (6) ministères.

« Il y a une réflexion globale qui doit être faite sur la question de l’aide internationale de manière générale. A mon sens, je ne crois pas qu’à travers le monde l’aide internationale récolte beaucoup de succès »,  note-elle.

Cependant, elle souligne : « Qui l’a voté ? [le budget de la République ndlr]. Ce ne sont pas les blancs qui le votent chez eux à notre place pour ensuite venir nous l’imposer. Nous devons de préférence questionner la responsabilité des autorités haïtiennes par rapport au financement du fonctionnement de l’Etat haïtien et non l’inverse. Car, la responsabilité qui nous incombe est avant tout nationale. »

Jacques Bougha-Hagbe, économiste et ingénieur de formation, il représente le Fonds Monétaire International (FMI) en Haïti depuis mars 2010.

« On ne peut pas le nier. Une bonne partie de l’aide ne passe pas par le gouvernement d’Haïti et c’est ce que nous déplorons nous-mêmes. Moi je pense qu’il ne sert à rien de jeter la faute aux bailleurs parce qu’Haïti est un pays souverain. Qu’est-ce-qui empêche au gouvernement de mettre sur pied un cadre qui inspire confiance ? »

« L’idéal aurait été qu’on mette des ressources à la disposition du gouvernement et que le gouvernement utilise à bon escient ces ressources et rende compte à la population haïtienne et ensuite aux partenaires », ajoute-il, et il remarque que : «  les choses ne réussiront que si le gouvernement fait preuve d’un leadership dans lequel les bailleurs ont confiance. Parce que personne ne pourra jamais remplacer le gouvernement ».

Pour Bougha-Hagbe, même faible, l’Etat haïtien doit s’efforcer quand même de jouer son rôle : « Certes l’Etat haïtien a des faiblesses, le dernier mot revient à l’Etat haïtien...  Les principaux bailleurs peuvent être des ONG mais ils n’exécutent rien sans l’aval du gouvernement ».

Il finit pour dire qu’ : « Haïti est un pays souverain. Le jour où le gouvernement d’Haïti me demande de quitter le pays je partirai parce que c’est eux le patron. Ce n’est pas le FMI qui va vous imposer quoique ce soit en Haïti… Il faut absolument que les autorités haïtiennes fassent les réformes qu’il faut... Augmenter les recettes de l’Etat et rendre le pays moins dépendant de l’assistance étrangère. »

Une vue typique d'une réunion « cluster » chargée de coordonner les interventions
d'urgence. Pendant des mois, presque toutes les réunions ont été organisées en
anglais seulement, et bon nombre d’entre elles sont restées sans la présence
de représentants du gouvernement haïtien.
Lire plus ici.

Michel Présumé, directeur de division des bâtiments publics au sein de l’Unité de Contrôle des Logements et des Bâtiments Publics (UCLBP), une petite agence du gouvernement.  

Michel Présumé se veut réaliste, à la limite, pragmatique, en affirmant qu’ « Il est clair que nos moyens sont très faibles et nos besoins sont très énormes…. Nous sommes faibles parce que nous n’avons pas les moyens de faire ce que l’on veut faire. Et à ce moment nous attendons l’aide des autres et à un niveau tel que parfois cela fait mal, »

Présumé, ingénieur civil, ex-employé du ministère des travaux publics pendant 13 ans, pense que certains retards sont observés dans le déboursement de l’argent « c’est parce qu’il y a cette volonté de reprendre le contrôle qui explique le retard de l’aide ».

« Beaucoup de rapports parlent du pourcentage des aides qui revient au gouvernement haïtien. On doit changer cela. Le seul moyen d’y parvenir c’est de devenir un pays responsable et qu’on respecte », conclut-il.

Jean Claude Lebrun, coordonnateur national de Mouvement des Organisations Indépendantes Intégrées et des Syndicats Engagés (MOISE) depuis le 13 novembre 2006 et ex-membre de la CIRH où il a représenté le secteur syndical.

« Les Etats-Unis avaient le contrôle de tout ce qui se faisait dans le cadre de la reconstruction. Cette mainmise s’exerçait par le biais de ses différentes représentations et aussi par l’influence incarnée par la Fondation Clinton, très active dans les décisions relatives à la reconstruction ».

Pour M. Lebrun, c’est « une absence de leadership » qui a conduit le pays à cette situation de dépendance à laquelle il fait face. « On ne rétablit pas sa souveraineté avec l’aide internationale », d’après lui.

Alexandre V. Abrantes, médecin de profession et administrateur de santé à la Banque Mondiale (BM) depuis 20 ans, et actuel représentant de la Banque Mondiale en Haïti.

« C’est le gouvernement qui a le contrôle des décisions de la reconstruction au moins pendant le temps de la CIRH. »

Almeida Eduardo Marquez ex-représentant de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) en Haïti [interviewé par courriel].

Pour le représentant de la BID qui a été sur place lors de la catastrophe : « la faible capacité d´exécution existait déjà avant le tremblement de terre ». 

William Kénel-Pierre, architecte indépendant, membre fondateur de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL).

« Si je devrais me prononcer sur la reconstruction, je parlerais en premier lieu de la reconstruction de notre souveraineté, de notre dignité et de la reconstruction de notre structure sociale. Je ne peux pas parler de reconstruction de structure sociale mais d’une nouvelle structure sociale destinée à changer la situation que nous sommes en train de vivre », dit-il.

Pour l’architecte, assistance étrangère est toujours synonyme d’exigence. Parlant du FMI, il s’interroge « leur mission est de nous assister ou de gérer l’argent à notre place » ?

« Avant le tremblement de terre, il était claire que nos institutions étaient dans une phase très grave d’effondrement. Le tremblement de terre s’est transformé en ce que nous pouvons appeler un ‘épiphénomène’ du problème général encore plus grave que le tremblement de terre. » 

Un nouveau bidonville composé principalement de T-Shelters offerts par les ONG
s'installe sur les hauters Morne L'Hôpital.
Lire plus ici. Photo: AKJ / Evens Louis

Jean-Marie Bourjolly, mathématicien, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal. Ex-membre de la CIRH, de juillet 2010 à juillet 2011, en tant que représentant du pouvoir exécutif.  Bourjolly est rédacteur à la revue « Haïti Perspectives » [interviewé par courriel].

« L’étendue de nos malheurs, nous la devons surtout à la faiblesse chronique de l’État haïtien, et au laisser-faire et au manque de vision de ses dirigeants, » d’après le professeur Bourjolly qui vient de publier l’intégralité de cette interview dans la revue « Haïti Perspectives ».

« Faiblesse, donc, de l’État et leadership déficient qui se manifestent aussi par la kleptomanie proverbiale des dirigeants haïtiens, trop enclins, comme nous le savons, à confondre leur cassette personnelle avec les comptes bancaires nationaux et leurs intérêts particuliers avec ceux de leur pays. »

« L’État haïtien, de faible qu’il était avant le séisme, était devenu exsangue et polytraumatisé; de leur côté, les ONG s’étaient constituées, au fil des années, en un État dans l’État, d’où l’expression ‘République des ONG’ utilisée pour désigner Haïti; quant aux entités comme la Banque mondiale, la BID ou l’USAID, elles n’avaient pas l’habitude de nous rendre compte de leurs actions, et on ne voit pas ce qui aurait pu les faire changer d’approche, » ajoute-t-il. 

 

Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH)

La CIRH a été consacrée par un décret présidentiel pris le 21 avril 2010. Elle avait pour tâche, selon ce décret, « la planification stratégique, la coordination, le développement des projets, la mise en œuvre efficace et rapide, l’utilisation des ressources, l’approbation de projets, l’optimisation des investissements et des contributions, et l’assistance technique. »

Jacques Bougha-Hagbe, représentant du FMI.

« Pourquoi on a créé la CIRH? Si l’on veut parler franchement c’est parce qu’il y a encore ce problème de confiance entre beaucoup de partenaires et le gouvernement d’Haïti. »

« L’idée de la CIRH était intéressante au début, initialement créer ce forum là, qui permet à ses partenaires ainsi qu’à la société civile haïtienne de voir ensemble comment ils peuvent aller de l’avant, » note-il. Il continue : « Malheureusement l’institution a connu des problèmes que beaucoup d’autres plateformes de coordination de l’aide connaissent. Il faut une harmonisation des pratiques, des objectifs entre le gouvernement et les partenaires financiers et ce n’est pas facile. »

Le représentant du FMI pense que le défi auquel était confronté la CIRH n’était pas spécifique à Haïti, parce que  « les difficultés qu’elle a rencontrées reflètent tout simplement les difficultés de coordination de l’aide avec les pays en développement en général ».

Pour Bougha-Hagbe, même si le mécanisme de la CIRH a été nouveau et n’existe plus, « [i]l y a toujours une CIRH déguisée en Haïti. C’est le cadre de coordination des aides ... [qui]  repose sur des ‘tables sectorielles. Les tables sectorielles sont des sous-groupes sectoriels entre bailleurs et gouvernement qui discutent de la stratégie dans les domaines de l’éducation, de la santé, l’assainissement, la sécurité et la gouvernance. »

Un des dessins proposés pour la reconstruction de Port-au-Prince par la Fondation
Prince Charles de l’Angleterre
. Lire plus ici. Source : Fondation Prince Charles

Jean Claude Lebrun, syndicaliste et ex-membre de la CIRH

« La plus grosse faiblesse de la CIRH était le problème de la communication… La CIRH fonctionnait en circuit en fermé et aucune information ne pouvait sortir. »

« La CIRH pourrait être meilleure dans la mesure où elle était démocratisée, l’information circulait librement car il y avait un déficit d’information », ajoute-il. « Seuls le comité exécutif et le secrétariat prenaient les décisions… Le comité exécutif avait deux co-présidents, Bill Clinton et Jean-Max Bellerive. »      

Le Parlement, quoiqu’ayant ses représentants au sein de la CIRH, n’exerçait aucun contrôle sur la commission. Selon Lebrun, « c’est ce qui a occasionné la perte de la CIRH ».

Par ailleurs il ajoute qu’« Au sein de la CIRH, la branche internationale avait aussi ses problèmes car un seul secteur était dépositaire de tous les pouvoirs de décisions, c’était le secteur pro-américain. »

Alexandre V. Abrantes, représentant de la Banque mondiale en Haïti.

« La CIRH a été une très bonne initiative et je suis pas du tout d’accord avec tous ceux qui la critiquent sans bien savoir ce qu’elle a fait », martèle le représentant de la BM. « Tous nos projets de la Banque mondiale passaient par la CIRH. »

« Je crois que c’était pour des raisons politiques, il y a toute une fierté nationale, il y avait toute une perception que la CIRH était dominée par des blancs [sic]. Et vous savez que la presse internationale aime raconter de mauvaises histoires, alors elle venait à la fin de 6 mois et disait que "rien ne se passe, la reconstruction ne démarre pas." C’est ridicule », ajoute-il.

Almeida Eduardo Marquez,  ex-représentant de la BID en Haïti.

Le représentant de la BID partage le même avis que son homologue de la BM.

« Effectivement, la CIRH a été une excellente initiative, pour coordonner l´action internationale avec le gouvernement et pour attirer l´attention sur Haïti, tant au niveau des dons, tant pour l´investissement privé. Elle aura été encore meilleure, si elle était mieux utilisée comme instrument de communication entre Haïti et la communauté internationale. »

De même que les autres acteurs, il pense que l’expérience de la CIRH pouvait contribuer à l’amélioration des autres instances telles les « tables sectorielles » et le nouveau Cadre de Coordination de l’aide externe au Développement (CAED) qui est chargé de coordonner la gestion de l’aide de la communauté internationale, selon le gouvernement.

Les maisons modèles inutilisés au site de l'exposition logement échoué, qui a coûté
2 millions $ US.
Lire plus ici. Photo: AKJ / Jude Stanley Roy

Lucien Bernard, docteur en science du développement, recteur de l’Université Episcopale d’Haïti, professeur à l’Université d’Etat d’Haïti et ex-membre de la CIRH où il a représenté le Sénat.

« Il n’y avait pas de communication. Beaucoup de choses se faisaient sans que l’on nous tienne au courant. Cela s’apparentait à une horde d’organisations internationales. Même le texte des règlements internes nous a été proposé en anglais », d’après le professeur. « C’était un fait exprès afin de pouvoir mieux nous rouler dans la farine comme c’est le cas pour la plupart des gouvernements vis-à-vis de leur population. »

Garry Lissade, avocat au barreau de Port-au-Prince et ex-membre de la CIRH où il a représenté le pouvoir judiciaire

L’avocat pense que la CIRH était «  une très bonne chose qui pouvait offrir au pays un bon démarrage dans le cadre de la reconstruction eu égard à la manière dont la commission intérimaire a vu le jour, car elle n’a pas été formée de manière unilatérale. Elle était constituée à la fois d’acteurs nationaux et de bailleurs internationaux. »

Tout en admettant que la CIRCH souffre d’une certaine déficience, Lissade est d’avis qu’elle a été un succès : « La CIRH revêtait une structure particulière. Elle était un modèle unique dans le monde, les membres haïtiens étaient désignés par les autorités haïtiennes, les membres de la société civile désignaient leurs représentants au sein de la CIRH. Ce qui rendait particulière la CIRH c’est que maintenant les pays dits ‘amis d’Haïti’ n’allaient plus lui tendre la main et décider à sa place, ils étaient obligés de s’asseoir avec lui autour d’une table. »

Jean-Marie Bourjolly, professeur à l’Université du Québec à Montréal, ex-membre de la CIRH.

« Dans un pays où les pouvoirs publics auraient été connus pour assumer leurs responsabilités et œuvrer dans le sens du bien commun, un organisme supranational comme la CIRH aurait sans doute été inutile, voire impensable, » d’après lui. 

« La création de la CIRH fut précédée par la préparation et la publication, sous l’impulsion de la communauté internationale et grâce à son aide technique et financière, de deux études, l’une, intitulée Post Disaster Needs Assessment (PDNA), pour faire l’état des lieux, c’est-à-dire évaluer l’étendue des dégâts, et l’autre, le Plan d’action pour le Redressement et le Développement d’Haïti (PARDH), en mars 2010, pour planifier non seulement la reconstruction physique, mais, selon l’expression du Chef de l’État, ‘une refondation d’Haïti’ … C’est dans ce contexte qu’il faut voir la CIRH, à mon avis. Sur papier, elle semblait correspondre à la situation. Je me réfère aux huit buts décrits dans la section 5 de ses Règlements : planification stratégique, coordination, développement de projets, approbation de projets, mise en œuvre efficace et rapide, utilisation des ressources, optimisation des investissements et des contributions, et assistance technique. »

Cependant, Bourjolly note que « la CIRH était une grosse machine qui échappait totalement au contrôle de son conseil d’administration » parce que ledit conseil d’administration, selon ce que rapporte l’ex-membre de la CIRH, « avait, à l’unanimité moins une voix, voté ‘les pleins pouvoirs’ à ses deux coprésidents, MM. Clinton et Bellerive, qui y tenaient mordicus et avaient insisté lourdement, contre toute raison, jusqu’à obtenir gain de cause. »

« La CIRH aurait pu jouer un rôle de premier plan dans cette résurrection ou, à tout le moins, obtenir de bien meilleurs résultats, si elle avait opté pour la transparence tant à l’intérieur de l’institution que vis-à-vis de l’extérieur et si elle avait fait le pari de la confiance envers les Haïtiens plutôt que de les traiter avec suspicion, », d’après Bourjolly.

Malgré toutes ses critiques, le professeur convient : « Je crois sincèrement, malgré les critiques très dures que je viens de formuler envers elle, que, dans les circonstances, la CIRH a joué un rôle globalement positif. »

 

Les questions de vision, « leadership » et coordination

Selon l’avis partagé par différents acteurs, le tremblement de terre a aussi fourni l’occasion à la communauté internationale à travers ses différents organes tels que (les agences multinationales, les ONG, les bailleurs de fonds) d’exercer davantage sa mainmise sur Haïti. [Cependant, pour d’autres acteurs, c’était l’occasion de prouver noir sur blanc le manque de leadership et de vision des autorités haïtiennes.

Un plan qui devait être la boussole de la reconstruction, le Plan d’Action pour le Relèvement et le Redressement National (PARDN), un nombre incalculable de projets, des douzaines de « cluster » afin de planifier les actions d’urgence ; de nombreuses conférences, colloques et tables-rondes. Cependant, plusieurs études témoignent d’un manque de coordination avéré.

Jacques Bougha-Hagbe, FMI.

Le Représentant du FMI pense qu’il est important de noter comment il est difficile de coordonner l’aide après un désastre dans un pays pauvre.

« Le problème généralement c’est que d’un côté vous avez le gouvernement qui doit continuer à faire son rôle et les bailleurs qui sont eux aussi des institutions qui ont leurs propres réalités », note-il.

Néanmoins, il ajoute qu’il croît que le gouvernement ne peut pas se défiler et qu’il doit accepter de relever le défi : « Le gouvernement doit toujours garder le leadership dans la stratégie de développement. Mais ce leadership doit être éclairé, clair et digne de confiance. A mon avis les choses ne réussiront que si le gouvernement fait preuve d’un leadership dans lequel les bailleurs aient confiance. Parce que personne ne pourra jamais remplacer le gouvernement. »

« L’idéal, une fois de plus, aurait été que le gouvernement lui-même mette sur pied les mécanismes d’acheminement à cette aide. Mais ces mécanismes doivent être fiables. Cela veut dire que si un bailleur décide de mettre ses ressources à la disposition du gouvernement, le gouvernement utilisera les ressources déjà pour les objectifs initiaux visés, » conclue-t-il.

Une carte montrant et énumérant les dizaines d'organisations multilatérales,
bilatérales et les organisations humanitaires, tous travaillant dans le domaine agricole
en septembre 2010.
Source : OCHA

Michel Présumé, UCLBP.

Présumé, sans détour, avoue « Je ne sais pas qui est le véritable chauffeur [de la reconstruction] sauf que nous connaissons notre mandat [à l’UCLBP] et notre mandat est clair. Et nous avons eu de très bonnes collaborations avec toutes les institutions et nous savons ce que nous avons à faire »

Alexandre V. Abrantes, BM.

« C’est le gouvernement qui a le contrôle sur les décisions de la reconstruction au moins pendant le temps de la CIRH, » d’après le représentant de la BM, donnant comme exemples la reconstruction de l’hôpital général (HUEH) et la Route nationale #3.

« La décision a été prise par le gouvernement. L’exécution…, vous avez raison. Le gouvernement n’a pas eu le contrôle de l’exécution de ces projets mais avait le contrôle de la décision de faire tel projet ou tel autre », d’après Abrantes. 

Le représentant de la BM pense que le gouvernement haïtien a regagné le pouvoir de coordination et de direction aujourd’hui.

« Maintenant avec le nouveau document de la commission de la coordination de l’aide externe, le CAED, c’est plutôt clair que le ministère du plan [Laurent S. Lamothe] a un rôle important dans la coordination de l’aide. »

Almeida Eduardo Marquez, ex-représentant de la BID.

A la question « Qui a le contrôle de la reconstruction ? », Marquez dit :

« Je pense que la meilleure question dans ce sens n´est pas QUI A, mais c´est QUI DOIT AVOIR le contrôle.  La réponse est simple : c´est le gouvernement.  Il n´y a pas d´autre moyen de reconstruire Haïti sans la participation des Haïtiens, coordonnée par le gouvernement. Un gouvernement capable de créer un plan, cibler les initiatives, gérer bien les finances et coordonner le partenariat avec le secteur privé, la société civile et les bailleurs de fonds, sur une base démocratique et autonome, est la seule solution pour la reconstruction.  Et je vois que les dispositions sont prises maintenant en Haïti pour que ça se fasse ». 

Collage de photos montrant les divers « abris provisoires » construits par tout en Haïti par
environ trois douzaines d'organisations.
Lire plus ici. Source : Shelter Cluster

Jean-Marie Bourjolly, professeur et ex-membre de la CIRH

« Le PARDN il s’agissait, je le répète, d’une ébauche de plan. J’ajoute : une ébauche de plan concoctée rapidement par la communauté internationale pour le compte du gouvernement haïtien, avec la participation de cadres du ministère du Plan. Le gouvernement haïtien l’a ensuite présentée officiellement à cette même communauté, pour faire semblant d’être en contrôle de quelque chose, une fiction qui n’a trompé personne, certainement pas la communauté internationale, mais qui a eu pour effet de ménager certaines susceptibilités nationales… D’autant plus qu’il avait été conçu sans la participation des acteurs de terrain qui se battaient admirablement pour faire face aux multiples problèmes post-séisme. »

« Si la reconstruction doit être coordonnée, elle ne peut l’être que par une organisation investie de la mission et du pouvoir de décider, en consultation avec les acteurs légitimes (ministères, ONG, communauté internationale, communautés et autorités locales, société civile…), de ce qui doit être fait globalement et localement, selon quelle priorité, avec quelles ressources, et de vérifier ou faire vérifier ce qui est en train d’être réalisé sur le terrain pour être en mesure de rectifier le tir. »

 

Maisons construites et offertes par le gouvernement du Venezuela qui sont restées
vides pendant 15 mois après le séisme.
Lire plus ici. Photo : AKJ / James Alexis


[1] Les personnalités suivantes ont ignoré nos différentes demandes d’interview : le premier ministre et ministre de la planification et de la coopération externe Laurent S. Lamothe, le directeur général du ministère de la planification et de la coopération externe Yves Robert Jean, l’ex-secrétaire exécutif de la CIRH Gabriel Verret, les envoyés spéciaux du Secrétaire Général de l’ONU l’ex-président américain William J. Clinton et le Dr. Paul Farmer, l’ex co-président du Fonds pour la reconstruction d’Haïti (FRH) Joseph Leitman.

Friday
Mar222013

« Garbage In, Garbage Out »

par Jane Regan, coordonnatrice d’Ayiti Kale Je

Port-au-Prince, 22 mars 2013 – « Garbage in, garbage out » (GIGO) signifie « déchets à l’entrée, déchets à la sortie ». Dans le jargon informatique, cela signifie que, quand les données qu’on lui fournit sont erronées, même l'ordinateur le plus sophistiqué produira des résultats erronés. À leur insu peut-être, les élus haïtiens, le peuple haïtien et les déchets haïtiens sont aux prises avec un scénario GIGO potentiellement couteux et risqué.

Une compagnie étrangère désireuse d’implanter en Haïti un incinérateur de déchets à valorisation énergétique a induit en erreur le public haïtien, et apparemment les autorités haïtiennes, en affirmant ce qui ressemble à de fausses allégations et en tentant délibérément d’éviter les questions soulevées par Ayiti Kale Je (AKJ), un partenariat de journalisme d’investigation, dans un article en date du 22 janvier dernier.

Dans un texte transmis au quotidien Le Nouvelliste et publié le 8 février 2013 sous le titre « Le projet Phoenix précise », la compagnie International Electric Power (IEP), de Pittsburgh, sert un propos qui vient brouiller, plutôt que clarifier, le projet Phoenix et les critiques qu’il s’attire. 

Qu’est-ce que le Projet Phoenix?

Le Projet Phoenix serait un partenariat public-privé de collecte de déchets dans la région de la capitale, ceux-ci devant être incinérés pour fournir 30 mégawatts (MW) d’électricité, qui pourrait être acheté par la compagnie publique Electricité d’Haïti. Le coût initial du projet est d’environ 250 M$ US, selon l’IEP, qui cherche à obtenir un prêt de l’Overseas Private Investment Corporation (OPIC) du gouvernement américain. Une fois l’installation construite – par une compagnie espagnole déjà choisie par l’IEP plutôt que par appel d’offres – les déchets de la capitale, qui seraient ramassés par des entités de collecte, y seraient transférés, triés[1] et en partie incinérés.

L’État haïtien possèderait 10 pourcent du futur partenariat public-privé, et recevrait 50 pourcent des profits après impôts (probablement après remboursement du prêt de 250 M$ US), selon l’IEP. La Boucard Waste Management et d’autres joueurs du secteur privé prendront part au projet.

Certains membres du gouvernement haïtien appuient le projet. [Cependant, une des responsables de la gestion de déchets pour le pays l'a refusé dès le départ. Voir ce reportage.] Les représentants d’IEP ont annoncé à AKJ que les autorités avaient déjà signé deux protocoles d’entente les engageant à payer la nouvelle compagnie pendant 30 ans : l’un, obligatoire, pour l’opération des installations, et l’autre, optionnel, pour tout achat d’électricité. L’État donnerait aussi un terrain au nord de Port-au-Prince. AKJ a demandé à voir les protocoles, sans succès. Mais le Ministre de l’Énergie, M. René Jean Jumeau, affirme que « le projet s’insère dans notre plan d’action pour le développement de l’électricité ».

Vue aérienne de l’usine « WtE » de Ros Roca de Majorque en Espagne. Source: Ros Roca

« On vise à construire partout au pays des usines qui transformeront les déchets en énergie », a-t-il dit à AKJ le 10 octobre 2012.

L’IEP, qui existe depuis cinq ans, n’a jamais construit ni exploité d’usine « Waste to Energy » (« déchets [transformés] en énergie » / WtE) et, selon le site de la compagnie, les principaux employés n’ont aucune expérience directe dans le domaine non plus. (Même si, dans son texte du 8 février, l’IEP prétend que son équipe « a une expertise prouvée en collecte de résidus solides et leur transformation en énergie électrique ».)

La firme espagnole Ros Roca, prévue pour la construction de l’usine, a de l’expérience. Elle a construit un incinérateur WtE géant à Majorque, en Espagne. Fait intéressant, cet incinérateur s’est avéré trop puissant. Les familles vivant sur l’ile ne produisent pas suffisamment de déchets. Ainsi, les propriétaires de l’usine, dont Ros Roca ne fait pas partie, doivent aujourd’hui importer 100 000 tonnes de déchets de partout en Europe pour combler ce manque, malgré la forte opposition de certains élus locaux et de plusieurs groupes citoyens.

Une des nombreuses protestations contre l'importation de déchets sur
l'île de Majorque, en Espagne.
Source: El Pais

En Haïti et à l’étranger – multipliant documents, réunions, voyages des fonctionnaires à Majorque, campagnes de relations publiques et entrevues – l’IEP a vanté le projet Phoenix comme la réponse aux problèmes de déchets de la capitale et au besoin d’électricité du pays. La compagnie prétend aussi que l’incinérateur ne présente aucun risque pour l’environnement ou la santé; qu’il « éliminera, à terme, la pratique du brulage de déchets à ciel ouvert ainsi que les problèmes d’encombrement des canaux de drainage »; qu’il créera 1800 emplois spécialisés et bien rémunérés, et au moins 10 000 emplois, supposément reliés à la collecte de déchets. (Le texte du 8 février présente des chiffres moins élevés, soit 1600 emplois bien rémunérés.)

Révélations troublantes, contradictions flagrantes

Durant ses deux mois d’enquête, AKJ a découvert plusieurs contradictions entre ce qu’avance l’IEP et la réalité du terrain, en Haïti comme dans d’autres pays à faible revenu.

Se fondant sur les preuves recueillies, les journalistes d’AKJ ont conclu que les « déchets solides municipaux » (MSW en anglais) ne pourraient probablement pas produire 30 MW d’électricité. Les journalistes ont également soulevé la question des risques pour la santé et l’environnement associés à une usine de combustion ou d’incinération. Enfin, l’investigation a souligné que le projet engagerait le gouvernement et les citoyens haïtiens à payer pendant 30 ans une compagnie surtout contrôlée par des investisseurs en quête de profit.

AKJ a également découvert que la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), coprésidée par Bill Clinton et le Premier Ministre Jean Max Bellerive (2010-2011), a déjà refusé le projet à deux reprises. Deux employés de la Banque Mondiale et de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), qui étaient au fait de la proposition et qui connaissent la CIRH, ont confirmé l’information. L’un d’entre eux a déclaré à AKJ : « La Banque Mondiale et la BID ont toutes deux étudié le projet et l’ont rejeté car il s’avèrerait catastrophique pour Haïti. » [Pour plus d'informations, voire Le (projet) Phoenix qui ne cesse de renaître]

1 – Les ordures d’Haïti ne conviendraient pas à une usine d’incineration de déchets

Sur son site Internet et dans son texte du 8 février, l’IEP prétend que les déchets solides d’Haïti ont la « valeur calorifique » nécessaire pour produire de l’électricité. Or d’après les recherches d’AKJ, ce serait plutôt improbable.

Dans une récente étude (2010) sur les diverses technologies de valorisation énergétique convenant le mieux aux déchets d’Haïti, le Laboratoire national de l’énergie renouvelable du gouvernement américain (NREL en anglais), recommande la digestion de la biomasse et non la combustion.   

Le NREL note qu’on évalue la teneur des déchets d’Haïti « à entre 65 % et 75 % de matière organique… Les ordures ménagères ne font pas un bon carburant pour les systèmes de combustion ou de gazéification. Leur teneur en humidité est trop élevée. »

Dans son article du 8 février, l’IEP affirme que cette estimation (« entre 65 % et 75 % de matière organique »), n’est plus à jour. La compagnie soutient que « la composition et la valeur calorifique excèdent les besoins nécessaires pour assurer la production de 30 MW, même en saison pluvieuse », en laissant croire que ceci reflète la position du NREL et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).

Joints en février par AKJ, ni le NREL ni l'PNUE n’ont confirmé cette affirmation. Les deux ont dit travailler à produire les rapports pour le gouvernement d’Haïti, et que ceux-ci ne sont pas encore terminés.

L’IEP prétend aussi que selon ses propres recherches, les déchets d’Haïti produiraient 30 MW. Or, la prétendue étude, conduite avec peu de transparence, a été menée par les firmes mêmes qui profiteraient du projet si son financement devenait une réalité.

AKJ a décidé d’entreprendre sa propre recherche, pour découvrir un très récent rapport (2012) de la Banque Mondiale sur les déchets : « What a Waste : A Global Review of Waste Management » ou « Quel gâchis : revue mondiale de la gestion des déchets » [PDF]. Selon ce rapport, pour « les pays à faible revenu », la valorisation énergétique des déchets par combustion n’est « ni courante… ni généralement un succès, en raison de son grand cout en capital, technique et exploitation, ainsi que de la haute teneur en humidité des déchets et du grand pourcentage de matières inertes. »

Tableau tiré d’un rapport de 2012 de la Banque mondiale qui montre que dans
les « pays à faible revenu », environ 64 % des déchets solides municipaux
sont organiques.
Source: Rapport « What a waste »

Tableau tiré d’un rapport de 2012 de la Banque mondiale qui montre qu’en 2025,
dans les « pays à faible revenu », environ 62 % des déchets solides municipaux
seront organiques.
Source: Rapport « What a waste »

L’étude note que les déchets des pays à faible revenu sont en général constitués à 64 % de matière organique, soit légèrement moins que les 65-75 % du rapport du NREL en 2010.

2 – Risques pour l’environnement

Dans son texte du 8 février, l’IEP accuse quiconque soulève la question des dangers de l’incinération de faire preuve d’« opinion partisane ».

Évidemment, les incinérateurs et les usines de combustion sont plus propres que par le passé, mais seulement lorsqu’ils utilisent une technologie dispendieuse et qu’ils sont constamment soumis à une surveillance rigoureuse et onéreuse. L’article d’AKJ souligne certains risques associés à l’incinération et suppose qu’un gouvernement qui n’arrive pas à faire respecter les règlements environnementaux les plus simples et élémentaires – comme interdire la coupe d’arbres ou l’usage de styromousse dans l’emballage alimentaire – ne pourrait davantage faire respecter des règlements comme ceux en vigueur au Danemark et en Allemagne.

L’IEP prétend aussi que « l’incinération industrielle est de plus en plus populaire dans les pays de l'Union européenne ».

S'il est vrai que l’Europe compte des centaines d'incinérateurs WtE, comme les Etats-Unis d’ailleurs, il est faux d’admettre qu’ils sont « de plus en plus populaire[s] » en Europe. En 2007, le Parlement européen émettait une directive priorisant le recyclage avant l’incinération, et en 2011, la Commission européenne publiait « Une Europe efficace dans l'utilisation des ressources », selon laquelle, en 2020, on cessera d’incinérer tous les déchets pouvant être compostés ou recyclés.

Enfin, l’IEP affirme que son projet serait plus propre que le brulage de déchets à ciel ouvert, comme on le fait partout en Haïti. Si c’est peut-être vrai, il existe de nombreuses autres alternatives au brulage à ciel ouvert : l’adoption et la promulgation de lois, le développement d’usines globales de gestion des déchets, qui tiennent compte du compostage, des sites d’enfouissement et du traitement de la biomasse.

Tableau tiré d’un rapport de 2012 de la Banque mondiale qui montre que l'incinération
est l’avant dernier choix pour le traitement des déchets solides municipaux.

Source: Rapport « What a waste »

Il y a plusieurs autres facteurs environnementaux à étudier avant d’approuver ou de rejeter une usine d’incinération, notamment le fait que pour plusieurs matières, l’incinération produit davantage de gaz à effet de serre que le recyclage.

3 - Coûts

L’un des risques soulevés par AKJ a trait à l'engagement financier inhérent à l'entente. Dans son texte du 8 février, l’IEP met en avant son propre argument économique, prétendant que le projet Phoenix produirait de « l’énergie à bon marché ».

Un récent rapport du US Department of Energy affirme exactement le contraire.

Selon une étude du « Updated Capital Cost Estimates for Electricity Generation », sur les coûts en capitaux et exploitation de diverses usines ou méthodes de valorisation énergétique, y compris les incinérateurs de déchets, les fermes éoliennes ou solaires et le traitement de la biomasse, contrairement à ce que revendique l’IEP, les incinérateurs à déchets sont parmi les installations les plus couteuses à construire et à exploiter, comparativement aux autres technologies.

La construction d’une nouvelle usine de 50 MW, soit le projet Phoenix en un peu plus grand, coûterait 8232 $US (2010) par kilowatt (kW) de capacité, et 376 $US (2010) par Kw en frais fixes d’exploitation.

En revanche, une usine de biomasse à « lit fluidisé bouillonnant » coûterait 4755$US (2010) par kW de capacité, et environ 100 $US (2010) par kW en frais fixes d’exploitation.

Enfin, une installation photovoltaïque solaire de 150 MW coûterait 4755 $US (2010) par kW à installer, et environ 17 $US (2010) par kW en frais fixes d’exploitation. 

GIGO et les déchets d’Haïti

AKJ ne peut prétendre posséder des compétences approfondies en technologies de valorisation énergétique. Mais le principe GIGO s’applique clairement au projet Phoenix. Avec des données erronées, l’État et la population d’Haiti risquent de faire une erreur capitale.

Les études mentionnées plus haut démontrent hors de tout doute que le projet Phoenix n’est pas l’unique « solution » aux problèmes de déchets et d’énergie en Haïti. En fait, il s’avère peut-être le choix le plus risqué et le plus coûteux. Pour des pays comme Haïti, la Banque Mondiale, entre autres, recommande généralement le recyclage et la récupération par compostage ou traitement de biomasse, ce qui produit à la fois de l’énergie (en brulant le méthane) et qui enrichit le sol avec un sous-produit.

Ce qui est arrivé à Majorque devrait aussi nous faire réfléchir. Peut-être, le projet Phoenix est-il envisagé en fonction des déchets étrangers? Haïti l’a déjà échappé belle avec les déchets importés de Pennsylvanie, l’État d’où vient l’IEP.

 En 1998, la barge Khian Sea a jeté l’ancre au large des Gonaïves et a commencé à décharger une portion de 10 000 à 15 000 tonnes de cendres de l’incinérateur de Philadelphie. Les groupes de pression et les journalistes de Radio Haïti Inter ont dénoncé avec courage et sans relâche cette action, et réussi à forcer la ville de Philadelphie et l’entrepreneur à reprendre leur cargaison toxique dix ans plus tard. Le capitaine du Khian Sea a déversé le reste des cendres au milieu des océans Indien et Atlantique. [Voir ces reportages : Syfia et IPS]

Sans l’entière compréhension de tous les faits, données, coûts et risques associés aux diverses méthodes de traitement des déchets municipaux et aux défis énergétiques, le gouvernement haïtien risque de conclure une entente très couteuse pour l’État et les contribuables. Les autorités haïtiennes et les agences qui les conseillent doivent jouer cartes sur table, révéler les possibles conflits d’intérêts liés au projet. Le NREL et le PNUE doivent publier leurs résultats au plus tôt.

Voir Une cadre de l’Etat rejette le Projet Phoenix


[1] Le projet de l’IEP comporte une certaine contradiction : le tri efficace des déchets urbains impliquerait qu’on en extrait les matières mêmes qui brulent à très haute température.

Friday
Mar222013

Deux journalistes agressés à Savanette par un individu travaillant pour World Vision

Port-au-Prince, HAITI, 21 mars 2013 [AlterPresse] – Deux journalistes haïtiens ont été agressés par un individu travaillant pour l’institution humanitaire World Vision, le lundi 18 mars 2013 à Savanette, localité située à 160 km à l’est de Port-au-Prince.

[Réponse de WV : ci-dessous]

Evens Louis, journaliste reporter d’images à l’unité Accès-Médias du Groupe Médialternatif et Lafontaine Orvild journaliste-enquêteur du partenariat médiatique Ayiti Kale Je, ont été verbalement agressés et l’un d’entre eux a même été frappé par cet individu.

L’agression s’est produite au moment où l’équipe filmait une activité de distribution de nourriture en plein air, organisée par l’institution humanitaire.

« J’ai été bousculé et frappé en plein visage par cet individu qui portait un gilet de World Vision », indique Orvild, précisant qu’après son forfait l’agresseur a pris place à bord d’un véhicule de l’organisation humanitaire.

L’individu a également essayé de confisquer et d’endommager les équipements des journalistes, dépêchés sur le terrain dans le cadre d’une investigation journalistique qui implique également l’agence en ligne AlterPresse.

« C’est terrible de constater que la liberté de la presse a du plomb dans l’aile », opine le collaborateur de Ayiti Kale Je.

Témoin de l’incident, l’enseignante Mimose Sanon déclare à AlterPresse qu’elle a observé la scène, lorsque l’individu a bousculé les journalistes et frappé l’un d’entre eux avant de leur intimer l’ordre de « cesser le tournage sous prétexte que l’institution pour laquelle il travaille l’interdit ».

L’opération de distribution de nourriture se déroulait dans un espace ouvert situé au bord d’une rivière.

Des témoins rapportent que le pire aurait pu se produire sans l’intervention de personnes présentes pour essayer de calmer la situation.

Le Groupe Médialternatif condamne avec la dernière rigueur cet acte qui constitue une entrave à la liberté d’informer et entreprendra les démarches nécessaires pour interpeler les responsables de Word Vision au niveau national et international sur ce comportement inacceptable.

Les responsables de World Vision doivent savoir que les activités d’une organisation, quelle qu’elle soit, et qui concernent la population dans un espace géographique donné, ne sauraient, en aucun cas, être considérées comme des opérations privées. [mm gp apr 21/03/2013 11:50]

Article original - http://www.alterpresse.org/spip.php?article14297

 

Déclaration de Jean Claude Mukadi

Directeur national en Haïti, World Vision

Le 22 mars 2013

 

La World Vision déplore l’incident survenu le 18 mars et impliquant des journalistes de la plateforme Ayiti Kale Je (dont AlterPresse est un membre) sur l’un de nos sites de distribution de nourriture, à Calumette, une localité de la commune de Savanette.

La World Vision a lancé une enquête sur la question et, s’il en résulte que l’un de nos employés a agi de façon incorrecte et non professionnelle, elle prendra les mesures disciplinaires adéquates. La presse sera informée des résultats de ces investigations dès qu’elles seront terminées.

De plus, si AlterPresse détermine qu’elle veut elle aussi mener sa propre enquête, la World Vision lui fournira son entière collaboration.

La World Vision réaffirme son engagement pour des relations ouvertes et de confiance avec les représentants de la presse, que ce soit en Haïti ou dans n’importe laquelle des quelques 100 nations dans lesquelles nous sommes au service des populations vulnérables. En Haïti, nous apprécions l’excellente collaboration de notre personnel avec les journalistes sur lesquels nous comptons pour informer le grand public de nos programmes. Récemment, la World Vision a conduit une visite guidée dans le Nord qui a permis à un groupe de journalistes de la Capitale de voir l’impact de nos programmes dans certaines des zones les plus reculées du pays.

Notre organisation travaille en Haïti depuis 1959 et nous restons engagés à travailler avec le peuple haïtien, les agences gouvernementales et autres organisations humanitaires pour aider à apporter des solutions durables pour l’avenir des enfants, des familles et des communautés.

Personne-contact : Méroné Jean Wickens ; (+) 509-3454-0454 ; jean-wickens_merone@wvi.org

Thursday
Mar072013

Le Parc Industriel de Caracol : A qui profitera le pari ?

Caracol et Port-au-Prince, 7 mars 2013 – En octobre 2012, le gouvernement haïtien, ainsi que plusieurs autorités des « pays amis » d’Haïti, ont vu chacun leur rêve se matérialiser : l’inauguration d’un géant parc industriel qui, selon eux, allait créer 20.000 et peut-être 65.000 emplois. C’est l’un parmi les plus importants travaux de « reconstruction » depuis la catastrophe du 12 janvier 2010.

Le président haïtien Michel Joseph Martelly était là, en personne, pour la cérémonie inaugurale du Parc Industriel de Caracol (PIC). Des officiels haïtiens et étrangers, multimillionnaires, acteurs, ont fait le déplacement pour le lancement officiel du projet phare du gouvernement. Une fois de plus, les autorités ont scandé : « Haïti est ouverte aux affaires ».

Vue aérienne du parc. Source: Site web Parc industriel du Caracol

« Nous avons appuyé le parc de Caracol en particulier, parce que nous savions qu’il allait être un évènement extraordinaire pour la région Nord. Le parc peut amener la décentralisation au niveau de la métropole du Nord, et donnera du travail aux gens de manière extraordinaire », explique à Ayiti Kale Je (AKJ) la ministre haïtienne des Affaires sociales de l’époque, Josépha Raymond Gauthier.

Pourtant, l’enquête menée par Ayiti Kale Je montre que le nombre d’emplois promis par les autorités n’a pas encore atteint le niveau « extraordinaire », ajouté à certaines promesses non encore tenues.

Une année après son ouverture, seulement 1.388 personnes travaillent au parc dont 26 étrangers et 24 agents de sécurité. Les recherches ont révélé aussi qu’à la fin d’une journée de travail, un échantillonnage des ouvriers ne sort pas avec plus de 57 gourdes (1,36 $ US), des 200 gourdes (4,75 $ US) du salaire journalier.

AKJ a appris également que la majorité des agriculteurs déplacés qui cultivaient 250 hectares de terres fertiles à Chabert, sont toujours sans terre.

« Avant, Caracol était le grenier du département du Nord-Est », explique l’agriculteur expulsé Breus Wilcien. « A ce présent moment, il y a une rareté de produits agricoles sur les marchés de la zone. Nous végétons dans la misère. »

Waldins Paul, agriculteur expulsé et membre de l’Association des travailleurs de Caracol (ADTC) explique :

« Pour moi, [le parc] a ses bons et mauvais côtés... Le bon côté, c’est qu’il y avait plein de gens qui ne faisaient rien, qui baillaient aux corneilles, mais [le travail au parc] ce n’est pas tout à fait ça, sachant que 200 gourdes ne peuvent rien faire pour quelqu’un. Le pire, c’est que le parc va appauvrir la zone qui était le grenier du Nord et du Nord-Est. »

Le PIC est un projet des gouvernements américain, haïtien et de la Banque Interaméricaine de Développent (BID) pour lequel les dépenses de la 1ere phase d’implémentation s’élèvent, au moins, à 250 millions $ US. Près de la moitié de ce montant, soit 120 million $ US, provient des citoyens américains. Par la suite, beaucoup d’argent a été dépensé dans les études, l’infrastructure routière et l’indemnisation des paysans dépossédés de leur terre. [Voir aussi Caracol en chiffres]

« Les mauvais côtés »

Le cataclysme de janvier 2010 a provoqué le déplacement de 1.3 million de personnes de Léogâne et de la capitale. Mais il n’y a pas que de ces endroits a avoir été affectés. Le parc industriel a lui aussi fait des déplacés, en l’occurrence, les 366 familles qui exploitaient les 250 hectares de terres fertiles où s’est implanté le parc. [Voir AKJ 11 #6 et #7 sur le choix du site.]  L’habitation de Chabert a assuré la survie d’à peu près 2.500 personnes constituant les familles expropriées, et 750 agriculteurs qui y ont travaillé, au minimum, 100 jours chaque année.

Mère et fils, Gina Saint Louis, 50 ans, et Ghimps Saint Vil, 27 ans. Photo: Lafontaine Orvild/AKJ

Depuis novembre 2011, le gouvernement a réquisitionné l’espace qu’occupaient les cultivateurs pour le revêtir de béton, d’asphalte et y ériger de gros hangars prévus pour abriter les usines.

Un organisme du ministère de l’Economie et des Finances, l’Unité Technique d’Exécution (UTE), a pour mission de planifier la relocalisation des paysans et de veiller à leur indemnisation pour compenser la perte de récolte en cours, et ceci, jusqu’à qu’ils aient, de nouveau, une parcelle où travailler. Chaque agriculteur reçoit 1.450 $ US (60.900 gourdes) par hectare, et 1.000 $ US (42.000 gourdes) en plus pour la sécurité alimentaire, car si les paysans vendaient les denrées cultivées, ils s’en servaient également pour l’autoconsommation. (AKJ ignore si ces travailleurs agricoles ont reçu des dédommagements.)

UTE a indiqué à AKJ qu’en janvier 2013 l’Etat a versé à deux reprises la compensation aux paysans expropriés pour perte de récolte, car, deux récoltes ont été perdues. Les cultivateurs tardent à trouver leur « terre promise ».

Ce qui signifie aussi une double perte de 1.400 tonnes métriques (TM), ou 2.800 TM, de produits agricoles, équivalant à environ 100.000 boisseaux de fèves séchés, et aussi les débours de 1.2 millions $ US (plus de 50 millions de gourdes) pour les paiements aux déplacés, en plus d’un million $ US dépensés par l’UTE pour ce programme d’accompagnement et relocalisation. [Voir aussi Caracol en chiffres]

Verly Davilmar va recevoir 35.000 gourdes (833 $ US) pour sa récolte perdue. Autrefois, il travaillait un demi-hectare de terre où il cultivait de l’igname, du manioc et de l’épinard. Aujourd’hui non. Point de terre. Il reste chez lui. Sa famille compte 10 personnes.

« Ce qu’ils ont donné  passe comme un éclair », confie-t-il à AKJ. « L’argent n’entre pas. Tu n’as pas de terre, tu es obligé de rester sans rien ».

Alfred Joseph, 52 ans, agriculteur qui a perdu la terre travaillée
par lui et sa famille durant plusieurs décennies.
« Ma petite parcelle de terre est maintenant recouverte de béton.
Quelles options pour un viellard?
»
Photo: Lafontaine Orvild/AKJ

Le directeur de l’UTE a fait savoir que son bureau avance vers une solution. Un espace a été trouvé dans les environs de Glaudine.  

«Notre première priorité est de donner des terres aux paysans, pour qu’ils puissent travailler. Mais une fois qu’ils seront en possession de la terre, le travail ne sera pas fini. Nous nous chargerons de leur donner des titres réguliers de fermage. La Direction Générale des impôts (DGI) doit nous accompagner dans le processus », explique Michael Delandsheer. Ensuite, « Nous aurons à les encadrer, pour qu’ils aient des productions meilleures que celles qu’ils avaient auparavant ».

Après près de deux ans de promesses, les agriculteurs de Caracol restent sceptiques. Et peut-être avec raison, car dans la zone de Ouanaminthe, c’était la même histoire avec le parc industriel de CODEVI. Jusqu’à présent, certains n’ont jamais reçu de terres.

Des promesses d’emploi ont été faites aussi aux familles de déplacés, selon eux.

« On a promis à notre famille qu’elle allait pouvoir travailler [dans le PIC], mais toujours est-il que nous n’avons reçu aucune offre d’emploi », note Davilmar.

Le maire adjoint de Caracol est également déçu. Au départ, Vilsaint Joseph n’était pas tout à fait en faveur du parc, mais il a gardé un esprit ouvert en ce qui a trait à l’idée, dit-il. Il se dit content que la commune ait pu bénéficier de l’énergie électrique grâce à la centrale construite par les Etats-Unis. Néanmoins, ce n’est pas la population de Caracol qui profite des emplois du parc.

« Des personnes âgées de 32 ans sont allées suivre des formations mais n’ont pas été retenues à cause d’un flot de jeunes de 22 ans. Je trouve cela vexant pour quelqu’un qui a suivi une formation de 3 mois et à qui à l’arrivée on déclare qu’il ne peut pas travailler », déplore le maire.

Parmi ses préoccupations, figure la baisse considérable de la production agricole dans la zone, parce qu’avant, « lors de la récolte, les camions transportaient du maïs et des haricots vers Port-au-Prince. »

Sur une douzaine de familles paysannes interviewées par AKJ, toutes ont fait remarquer que l’indemnité se révèle insuffisante, et certaines n’arrivent même pas à assurer l’écolage de leurs enfants.

« Nous pensons organiser un ‘sit-in’ pour exiger des autorités qu’ils nous donnent des terres, afin que nous puissions travailler », révéle Breüs Wilcien à AKJ dans un entretien téléphonique.

Wilcien a reçu 42.000 gourdes (1.000 $ US), mais avoue être dans l’impossibilité de payer la scolarité de ses enfants. « Toute la maison en souffre. On a toujours dans notre jardin du manioc. Quand ça va mal, on va au jardin en récolter un morceau, avec lequel  l’on prépare soit du pain doux, soit on le mange ainsi. Nous souffrons en ce moment ».

Les « bénéficiaires »

Si les agriculteurs et leurs familles pouvaient être considérés comme des « perdants », au moins pour l'instant, il y en a que le gouvernement et ses partenaires considèrent comme des « bénéficiaires », parce qu’ils ont trouvé un emploi. En fait  tous les documents sur la reconstruction parlent de la nécessité de « créer du travail ». Le PIC est présenté comme le plus grand « succès » à ce jour.

AKJ s’est entretenu avec 15 ouvriers, des hommes et des femmes, qui travaillent à l’usine coréenne qui accueille la majorité des travailleurs du parc. Cette usine d’assemblage – S & H Global – est une filiale de SAE-A Trading. Elle assemble des vêtements pour de grandes compagnies étasuniennes, notamment : JC Penny, WalMart et autres.

Tous les ouvriers et ouvrières – la majorité est constituée d’ouvrières, comme dans toutes les usines d'assemblage à travers le monde – confirment qu’ils reçoivent le salaire minimum de 200 gourdes (4,75 $ US) par jour. Parmi les ouvriers interrogés, 11 précisent qu’ils dépensent en moyenne 61 gourdes pour le transport et 82 gourdes pour la nourriture et le rafraichissement. Il ne leur reste que 57 gourdes ou 1,36 $ US pour les dépenses supplémentaires : l’eau, l’électricité,  la nourriture de la famille, les vêtements, l’écolage des enfants, etc. [Voir aussi AKJ Dossier 11 #1]

« Ce salaire ne me permet pas de vivre, il ne peut rien faire pour moi », déclare  Annette.*

Autrefois cette mère de quatre enfants a travaillé au parc industriel de CODEVI, à Ouanaminthe. Elle habite à Ouanaminthe et se lève de très tôt pour se rendre au PIC. Elle a quitté son emploi pour un nouvel emploi au PIC avec l’espoir que sa condition s’améliorerait, dit-elle. Elle s’est trompée.

« Les conditions ne jouent pas en ma faveur », explique-t-elle, mais elle ne sait pas quoi faire d’autre. C’est la situation de plusieurs milliers d’Haïtiens qui acceptent un salaire de 200 gourdes.

Un pêcheur ancre son bateau dan la baie de Caracol. La pêche est une source importante d’emploi dans la région. La BID a promis d’aider les pêcheurs de Caracol en les fournissant des moteurs et autres formes d’assistance. Photo: Lafontaine Orvild/AKJ

L’économiste haïtien Frédérick Gérald Chéry pense que le gouvernement haïtien a fait une mauvaise approche de la question du salaire minimum, et en mettant l’accent sur les usines d’assemblage, où les ouvriers touchent rarement plus que ça. En plus d’être insuffisant pour survivre, le professeur de l’Université d’État d’Haïti note qu’un salaire de 200 gourdes ne peut pas contribuer à la croissance d’autres secteurs dans l’économie.

« Il faut calculer ce que l’ouvrier gagne et ce qu’il peut acheter avec. Ce qu’il peut acheter est le plus important. On ne doit pas fixer le salaire minimum en termes absolus, mais en termes de paniers de biens », note Chéry dans une interview à AKJ en novembre 2012. « On ne peut encourager un ouvrier à acheter du riz qui provient des États-Unis, ou de la République Dominicaine. Un salaire minimum, c’est pour acheter des produits locaux ».

Flora* qui attendait le bus pour rentrer chez elle au Cap-Haitien après une dure journée de travail, n’a pas caché son enthousiasme à l’idée de parler à un journaliste, en dépit de son air exténué.

« C’est Dieu qui t’a envoyé, j’avais besoin d’un journaliste pour raconter ce que nous subissons au parc », dit-elle. « On nous hurle dessus comme des bêtes.  Les nourritures qui nous sont destinées sont mal préparées. On ne réserve que de l’eau chaude pour notre consommation. J’ai passé une journée à travailler sans un cache-nez. La poussière envahit mes narines. »

Les commentaires des ouvriers ne contredisent pas un récent rapport de « Better Work », une agence du Bureau international du travail des Nations unies, qui a découvert que la moitié des 22 usines de sous-traitance dans la zone métropolitaine est « en non-conformité » par rapport aux conditions de travail. Seize des 22 usines n’ont pas de température « acceptable ».

Interrogé sur le salaire et les conditions de travail dans son usine à Caracol, un représentant de la SAE-A, contacté par courrier électronique, avoue respecter le code du travail haïtien. Nonobstant, lorsque AKJ a demandé de visiter l’usine, afin d’en savoir plus sur les conditions de travail, SAE-A ne l’a pas permis. Plus récemment, un syndicaliste a dit vouloir tenter de visiter l’usine pour explorer les conditions de travail des ouvriers, mais SAE-A lui a interdit l’accès aussi.

L’investigation qu’a réalisée AKJ auprès des ouvriers de S & H Global à Caracol a dévoilé que sur l’échantillonnage de 15 ouvriers et ouvrières, 80 pourcent disent qu’ils ont réalisé que le salaire ne vaut pas la peine.

« C’est ne pas la peine d’y travailler. Les superviseurs ne nous respectent pas. Ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains. Ils nous frappent avec les vêtements », témoigne Adeline.*

Commerçante dans le passé, Adeline dit qu’elle préfère reprendre son ancienne activité que de continuer à bosser dans ces conditions.

L’ex-ministre des Affaires Sociales reconnait que le salaire est bas dans une entrevue accordée à AKJ. Elle ne fait que répéter les mêmes justifications des propriétaires d’usines.

« Quelqu’un qui travaille dans [une usine] de sous-traitance, n’est pas quelqu’un qui deviendra riche du jour au lendemain », d’après l’ex-ministre Josépha Raymond Gauthier, interviewée en novembre 2012. « Mais celui qui ne travaille pas, n’a aucun espoir ».

Sur le même sujet, le maire adjoint de Caracol, optimiste au départ, estime que le salaire et les conditions sont « inacceptables ». D’après Vilsaint Joseph, « c’est une humiliation ».

Le gouvernement haïtien promet éventuellement des bus gratuits aux ouvriers, et jure qu’un pourcentage d’entre eux trouvera un logement subventionné qu’il paiera à long terme. Dans le cadre des 120 millions $ US alloués, le gouvernement américain va dépenser plus de 31 millions $ US pour le projet de logements « EKAM ». Les 1.500 maisonnettes seront construites non loin du PIC pour accueillir les ouvriers et les familles déplacées de Caracol jugées « vulnérables », où les chefs de famille sont le plus souvent une personne âgée ou une femme. D’après le gouvernement US, chaque maison coûte 23.510 $ US.

Cependant, puisque seulement 750 sont prévues pour le moment, les ouvriers sont peu à pouvoir en bénéficier. [Voir Caracol en chiffres pour plus sur l’EKAM]

Des maisonnettes d'EKAM. Photo: Lafontaine Orvild/AKJ

Un bon pari ?

Au total, pour l’installation du PIC, la centrale électrique, l‘EKAM, les paiements aux agriculteurs et les autres dépenses, le gouvernement américain, la BID, le gouvernement haïtien et d’autres bailleurs ont déjà dépensé au moins 250 millions $ US. Toutefois, il n’y a aucune certitude que le pays et l’État haïtien auront beaucoup à gagner dans les années à venir.  

Toutes les compagnies qui auront à s’installer au parc bénéficieront d’avantages fiscaux, ce qui voudrait dire peu de rentrée d’argent dans le trésor public. Les compagnies d’assemblages de vêtements auront des privilèges supplémentaires en vertu de la loi étasunienne HELP (« Haiti Economic Lift Program »), ceci, jusqu’à l’an 2020. [Voir AKJ Dosye 11, #3]

Il est vrai que le S&H Global emploie quelques 1.294 personnes. En plus, la firme promet d’embaucher 1.300 autres au cours de l’année 2013 et SAE-A construira une école dont elle assurera la subvention.

Mais pour établir ces emplois, la compagnie a dû fermer une usine au Guatemala, livrant ainsi 1.200 ouvriers au chômage. Elle a quitté le Guatemala pour Haïti, parce que les « offres » salariales et d’autres bénéfices attendus en Haiti se révèlent plus alléchantes. Une fois que les avantages accordés par la loi HELP seront expirés en sept ans, SAE-A quittera-t-elle Haïti de la même façon?

Même avec les maigres résultats, pour le gouvernement et les autres acteurs, le PIC est un bon « pari ». Dans ce document, la BID assure que le parc amènera Haïti sur un « chemin qui va vers la croissance économique ».

Lors d’une interview avec le «  New York Times » en 2012, José Agustín Aguerre, directeur du programme BID en Haïti, a reconnu que « Créer une industrie de sous-traitance d’assemblage de vêtements est une option que tout le monde essaie d’éviter ».  Il considère cette option, « comme un dernier recours ». Cependant, il a attiré l’attention sur le fait que c’est une « bonne opportunité » bien que le « salaire soit bas ». 

« Oui, demain, les compagnies pourraient partir, ayant trouvé mieux ailleurs. Mais tout le monde pensait que le pari valait la peine », ajoute Aguerre.

L’économiste Frédérick Gérald Chéry a fait une toute autre analyse. Il juge que se hâter de mettre en place des usines d’assemblage, sans un plan global, sans un débat au niveau national, est une erreur.

«  Au lieu de voir l’industrie textile comme un emprunt à l’économie, on le voit comme un apport, ce qui ne peut l’être, car le salaire est relativement faible, de plus, nous ne disposons pas de toutes une série d’intrants de production », explique-t-il. « Ce n’est pas nous qui découpons les vêtements, qui faisons le design, en plus, nous n’avons pas une économie d’échelle. Si cela continue ainsi, il se pourrait que cela débouche sur une catastrophe ».

Cette façon de privilégier le PIC au détriment de l’agriculture préoccupe l’économiste : « Si on ne développe pas en parallèle l’agriculture, le paysan sera perdant. »

Le PIC n’est pas le premier grand projet implémenté avec beaucoup de promesses dans la région du Nord.

La Plantation Dauphin a été établie en 1927 sur 10.000 hectares de terres plantées en sisal qui a été utilisé dans la production de cordes à l’époque de la deuxième guerre mondiale.

Durant toute une époque, la plantation qui était aux mains des capitalistes américains,  était la plus grande pourvoyeuse d’emplois. Toutefois, pour cultiver le sisal, des milliers de paysans ont été expropriés de leurs terres. Ce qui a créé une dépendance par rapport à la zone de l’industrie du sisal.

La baisse des prix au niveau international a occasionné le départ des investisseurs qui a laissé la zone jadis plantée de sisal dans une pauvreté extrême. Jusqu’à nos jours, les séquelles y sont encore puisque les terres cultivées en sisal deviennent de moins en moins fertile.

Parlant des villages qui dépendaient de la plantation Dauphin, l’agriculteur Castin Milostène se souvient : « Aujourd’hui, si l’on prend le cas de Derac, Collette et Phaeton, n’était-ce la MINUSTAH et le Programme Alimentaire Mondiale, ces gens-là, seraient déjà morts de faim ».

NB - Les journalistes d’AKJ et de nombreux autres médias se sont vu refuser l'accès a I’inauguration parce qu'ils ne figuraient pas sur une liste établie par Wellcom-Haïti, une compagnie de consultation privée situé dans la capitale.

* NB - AKJ a décidé de dissimuler l’identité des noms des ouvrières et ouvriers pour les protéger contre toutes éventuelles représailles.

 

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Wednesday
Feb202013

Haiti-Exploitation minière : Inquiétudes et manque de transparence 

Cadouche et Port-au-Prince, Haïti, 20 fév. 2013 – La population de Cadouche, un petit village situé à 12 km au sud du Cap-Haïtien (département du Nord), s’inquiète au sujet des nouveaux permis d’exploitation octroyés à des compagnies minières en décembre 2012 dans une absence totale de transparence.

Située près du gisement d’or de Morne Bossa, le hameau de Cadouche vit essentiellement de l’agriculture. Dans ce village de plus d’une centaine de petites maisons, privé d’un centre de santé, les familles travaillent jour et nuit pour s’occuper des besoins de leurs enfants. Et elles se demandent si elles n’existent plus pour les autorités de la capitale, puisque, selon elles, les négociations sur l’avenir de la région sont conduites derrière le rideau, sans aucune représentation locale.

Une vue de la plaine de Morne Bossa. Photo: AKJ/Ben Depp

« Jusqu’à présent aucun membre de l’Etat ou de la compagnie n’a consulté la population pour recueillir ses doléances et solliciter son accord sur l’exploitation des gisements de Morne-Bossa », indique Mezadieu Toussaint, enseignant et agriculteur d’une cinquantaine d’années. « Si la mine peut bénéficier à la population ce serait formidable, mais nous craignons qu’elle empoisonne notre environnement. »

Sténio Choute, membre de la Fédération du mouvement démocratique pour le développement de Quartier-Morin (Femodeq) et agriculteur cultivant du maïs, du pois et du sorgho, craint les conséquences de l’extraction minière.

« L’exploitation minière aura des conséquences désastreuses ! Nous sommes extrêmement inquiets, et nous ne sommes pas à l’aise. L’eau et l’environnement seront pollués », dit-il.

D’anciennes conventions

Les trois permis pour l’exploitation de l’or ou du cuivre, accordés par le Bureau des Mines et de l’Énergie (BME) à la fin de décembre 2012, ont provoqué un tollé. Dans la presse, des éditorialistes et des sénateurs se sont mis à spéculer sur ce qu’Haïti y perdrait ou y gagnerait, et ont accusé le gouvernement d’octroyer des permis « illégaux ». Les questions embarrassantes des sénateurs ont ému jusqu’aux larmes le directeur du BME, Ludner Remarais.

Les trois nouveaux permis, dans les départements du Nord et du Nord-Est du pays, concernent les gisements de Morne Bossa, Douvray et « Faille B », mais ils ne sont pas nouveaux. Ils résultent de la conversion de trois permis d’« exploration » en permis d’« exploitation ».

Les trois permis ont été initialement accordés en 1997 par l’administration du président René Préval dans le cadre de deux conventions minières à deux compagnies dites « haïtiennes », Société Minière Ste. Geneviève-Haïti S.A. et Société Minière Citadelle S.A. [Téléchargez les conventions originales - 6 et 8 MB - ici : Sainte-Geneviève, Citadelle] Suite à des opérations de vente ou de changement de nom, ces conventions sont actuellement entre les mains de la Société Minière Delta et la Société Minière du Nord-Est S.A. (SOMINE S.A.), toutes deux des firmes de petite taille. Toutefois, le pouvoir dans les deux cas demeure ailleurs, détenu par des firmes et des actionnaires étrangers.

Carte montrant l'emplacement de la propriété VCS/Société Minière Delta
à Morne Bossa.
Source: Site internet VCS

Carte montrant l’emplacement de la propriété SOMINE.
Source: Site internet Majescor

La Société Minière Delta, est la propriété de « VCS Mining », une petite firme privée etats-unisienne enregistrée dans l’Etat de Delaware (selon son site web), tristement célèbre pour sa politique de permettre aux entreprises de ne pas rendre publique la valeur des profits réalisés, garder leurs opérations secrètes et payer des impôts minimes, selon un article récent du « New York Times ».

SOMINE S.A. est une filiale de la société minière canadienne Majescor qui travaille dans les régions « émergentes », selon son site web. Le mois dernier, Majescor a mis en vente des actions totalisant plus de 2 millions $ US pour « le projet SOMINE ». Majescor contrôle SOMINE S.A., indique le site internet où elle explique qu’elle est la propriétaire de « SIMACT Alliance Copper-Gold Inc. » qui contrôle la majorité des actions de la firme haïtienne.

Ces permis d’exploitation sont les plus avancés parmi plusieurs dizaines délivrés dernièrement pour environ 2,500 km2 du territoire haïtien. Ils se transformeront en concessions minières – du moment où la compagnie débute les travaux d’exploitation.

Cartographie des permis contrôlés par une autre firme étrangère, Eurasian Minerals,
à la fin de 2011.
Source : Site ieb d’Eurasian Minerals

Tumultes

Selon plusieurs sénateurs, les trois permis constituent une violation de la Constitution haïtienne parce qu'ils sont fondés sur des conventions qui n'ont jamais été considérées par le Parlement. Une commission du grand corps a organisé une audience spéciale sur les permis le 22 janvier 2013, où les sénateurs ont sévèrement critiqué le directeur du BME, Ludner Remarais.

« En 20 ans, le Parlement n’a jamais ratifié de conventions minières », a protesté le sénateur Steven Benoit (Ouest), tandis que le sénateur Andris Riché (Grande Anse) s’est écrié : « Il ne faut pas accepter de contrat farfelu qui vise à ensevelir le peuple. »

« Je regrette que le Sénat n’ait jamais été avisé », s’est excusé Remarais, en larmes.

La Constitution haïtienne dit que l’Assemblée Nationale doit « approuver ou rejeter les traités et conventions internationales » (Art. 98.3).

Pour l’avocat Mario Joseph, directeur du Bureau des Avocats Internationaux (BAI), « ces conventions sont illégales car le Parlement ne les a pas ratifiées ». Cependant, il semble que ces conventions ne sont pas « internationales », car celles-ci engagent l’Etat et des compagnies haïtiennes, au moins sur papier.

L’ancien directeur du BME, Dieuseul Anglade, maintient que les conventions ne sont pas « illégales » puisque la décision de les signer et publier a été prise par décret.

« Les décrets ont force de loi. Si quelqu’un veut faire de la démagogie ou de la politique, il pourrait taxer les conventions d’‘illégales’. Mais autrement, les conventions sont ‘’légales’’», précise Anglade, joint par téléphone le 6 février 2013.

Dans une autre interview téléphonique, un porte-parole de « VCS Mining », qui travaille à Morne Bossa, est d’accord avec Anglade. Il insiste sur le fait que VCS a suivi la règlementation depuis le début. L’an dernier, sa firme a soumis l’« étude de faisabilité » exigée par le BME, qui fixe les étapes à suivre pour préparer la mine. Le BME l’a finalement approuvée en novembre, dit-il.

Le représentant de VCS – qui a demandé à garder l’anonymat parce que, dit-il, le projet est en attente jusqu’à la résolution du conflit entre le BME et le Sénat – affirme : « Nous avons fait le travail, tel que requis par la loi. Les permis respectent la loi ».

Le représentant affirme que sa compagnie a investi, à ce jour, plus de 4 millions $ US dans des travaux sur le site, et depuis que des chercheurs de l’ONU y ont trouvé de l’or, à la fin des années 1970, « ce sont plus de 38 millions $ US qui y ont été injectés. » Il a ajouté que sa mine éventuelle embaucherait 300 ouvriers.

Par souci de vérification et de clarification, AKJ a demandé une entrevue au directeur Remarais, mais après trois rendez-vous, elle a été finalement refusée. AKJ voulait confirmer les dires du représentant de la compagnie VCS et obtenir une copie des études de faisabilité. 

Plusieurs questions sans réponses

L’État haïtien obtient de très faibles redevances dans le cadre des contrats avec les compagnies minières : seulement 2.5 pour cent de la valeur des minéraux extraits. Un pourcentage « vraiment bas », affirme Claire Kumar, experte en redevances minières, à AKJ, lors d’une interview l’année dernière.

« En dessous de 5 pour cent, c’est carrément ridicule pour un pays comme Haïti. On ne devrait même pas en tenir compte. Dans un pays où l’État est faible, les redevances sont la source la plus sûre de revenus », dit-elle.

Selon la Loi minière haïtienne, les ententes financières prévues par une convention peuvent être « révisées ». Mais jusqu'à date, aucun fonctionnaire n’a abordé cette possibilité, ni ne s’est exprimé sur le « ridicule » taux de redevance à l’État.

Le président et directeur général de Majescor, Marc-André Bernier, avec un échantillon
de roche volcanique enrichi avec cuivre-oxyde trouvé dans la section nord
de la propriété SOMINE récemment explorée (mai 2009).

Source: Légende et photo – site internet Majescor

Il y a également les graves problèmes de manque de transparence généralisé, de l’éventuel impact social et environnemental des mines à ciel ouvert, tel que l’a documenté AKJ dans sa série de l’année dernière, et de manque de participation ou d’avantages monétaires au profit des communautés locales.  

Récemment, plus d’une centaine d’habitants vivant dans les petites maisons non loin du gisement de Morne Bossa se sont réunis pour échanger sur l’activité extractive. L’un après l’autre, ils ont posé des questions et exprimé leurs frustrations.

Les pieds d'un paysan à côté d'un marquage VCS indiquant l'emplacement d'un forage
d'essai à Morne Bossa.
Photo: AKJ/Ben Depp

« Au nom du plan néolibéral béni, les gouvernements d’Aristide, de Préval et de Martelly livrent le pays au pillage sans penser aux conséquences dévastatrices », s’est exclamé Francisco Almonord, membre de la Fédération pour le développement de Cadouche (Fedec) d’un ton amer.

Sans information, et apparemment sans des autorités locales disposées à les défendre, les agriculteurs de cette communauté ne savent pas qui est l'ennemi.

« A qui livrer bataille ? A l’État haïtien ou VCS ? », s’interroge l’agriculteur Mezadieu Toussaint.