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Wednesday
Feb202013

Haiti-Exploitation minière : Inquiétudes et manque de transparence 

Cadouche et Port-au-Prince, Haïti, 20 fév. 2013 – La population de Cadouche, un petit village situé à 12 km au sud du Cap-Haïtien (département du Nord), s’inquiète au sujet des nouveaux permis d’exploitation octroyés à des compagnies minières en décembre 2012 dans une absence totale de transparence.

Située près du gisement d’or de Morne Bossa, le hameau de Cadouche vit essentiellement de l’agriculture. Dans ce village de plus d’une centaine de petites maisons, privé d’un centre de santé, les familles travaillent jour et nuit pour s’occuper des besoins de leurs enfants. Et elles se demandent si elles n’existent plus pour les autorités de la capitale, puisque, selon elles, les négociations sur l’avenir de la région sont conduites derrière le rideau, sans aucune représentation locale.

Une vue de la plaine de Morne Bossa. Photo: AKJ/Ben Depp

« Jusqu’à présent aucun membre de l’Etat ou de la compagnie n’a consulté la population pour recueillir ses doléances et solliciter son accord sur l’exploitation des gisements de Morne-Bossa », indique Mezadieu Toussaint, enseignant et agriculteur d’une cinquantaine d’années. « Si la mine peut bénéficier à la population ce serait formidable, mais nous craignons qu’elle empoisonne notre environnement. »

Sténio Choute, membre de la Fédération du mouvement démocratique pour le développement de Quartier-Morin (Femodeq) et agriculteur cultivant du maïs, du pois et du sorgho, craint les conséquences de l’extraction minière.

« L’exploitation minière aura des conséquences désastreuses ! Nous sommes extrêmement inquiets, et nous ne sommes pas à l’aise. L’eau et l’environnement seront pollués », dit-il.

D’anciennes conventions

Les trois permis pour l’exploitation de l’or ou du cuivre, accordés par le Bureau des Mines et de l’Énergie (BME) à la fin de décembre 2012, ont provoqué un tollé. Dans la presse, des éditorialistes et des sénateurs se sont mis à spéculer sur ce qu’Haïti y perdrait ou y gagnerait, et ont accusé le gouvernement d’octroyer des permis « illégaux ». Les questions embarrassantes des sénateurs ont ému jusqu’aux larmes le directeur du BME, Ludner Remarais.

Les trois nouveaux permis, dans les départements du Nord et du Nord-Est du pays, concernent les gisements de Morne Bossa, Douvray et « Faille B », mais ils ne sont pas nouveaux. Ils résultent de la conversion de trois permis d’« exploration » en permis d’« exploitation ».

Les trois permis ont été initialement accordés en 1997 par l’administration du président René Préval dans le cadre de deux conventions minières à deux compagnies dites « haïtiennes », Société Minière Ste. Geneviève-Haïti S.A. et Société Minière Citadelle S.A. [Téléchargez les conventions originales - 6 et 8 MB - ici : Sainte-Geneviève, Citadelle] Suite à des opérations de vente ou de changement de nom, ces conventions sont actuellement entre les mains de la Société Minière Delta et la Société Minière du Nord-Est S.A. (SOMINE S.A.), toutes deux des firmes de petite taille. Toutefois, le pouvoir dans les deux cas demeure ailleurs, détenu par des firmes et des actionnaires étrangers.

Carte montrant l'emplacement de la propriété VCS/Société Minière Delta
à Morne Bossa.
Source: Site internet VCS

Carte montrant l’emplacement de la propriété SOMINE.
Source: Site internet Majescor

La Société Minière Delta, est la propriété de « VCS Mining », une petite firme privée etats-unisienne enregistrée dans l’Etat de Delaware (selon son site web), tristement célèbre pour sa politique de permettre aux entreprises de ne pas rendre publique la valeur des profits réalisés, garder leurs opérations secrètes et payer des impôts minimes, selon un article récent du « New York Times ».

SOMINE S.A. est une filiale de la société minière canadienne Majescor qui travaille dans les régions « émergentes », selon son site web. Le mois dernier, Majescor a mis en vente des actions totalisant plus de 2 millions $ US pour « le projet SOMINE ». Majescor contrôle SOMINE S.A., indique le site internet où elle explique qu’elle est la propriétaire de « SIMACT Alliance Copper-Gold Inc. » qui contrôle la majorité des actions de la firme haïtienne.

Ces permis d’exploitation sont les plus avancés parmi plusieurs dizaines délivrés dernièrement pour environ 2,500 km2 du territoire haïtien. Ils se transformeront en concessions minières – du moment où la compagnie débute les travaux d’exploitation.

Cartographie des permis contrôlés par une autre firme étrangère, Eurasian Minerals,
à la fin de 2011.
Source : Site ieb d’Eurasian Minerals

Tumultes

Selon plusieurs sénateurs, les trois permis constituent une violation de la Constitution haïtienne parce qu'ils sont fondés sur des conventions qui n'ont jamais été considérées par le Parlement. Une commission du grand corps a organisé une audience spéciale sur les permis le 22 janvier 2013, où les sénateurs ont sévèrement critiqué le directeur du BME, Ludner Remarais.

« En 20 ans, le Parlement n’a jamais ratifié de conventions minières », a protesté le sénateur Steven Benoit (Ouest), tandis que le sénateur Andris Riché (Grande Anse) s’est écrié : « Il ne faut pas accepter de contrat farfelu qui vise à ensevelir le peuple. »

« Je regrette que le Sénat n’ait jamais été avisé », s’est excusé Remarais, en larmes.

La Constitution haïtienne dit que l’Assemblée Nationale doit « approuver ou rejeter les traités et conventions internationales » (Art. 98.3).

Pour l’avocat Mario Joseph, directeur du Bureau des Avocats Internationaux (BAI), « ces conventions sont illégales car le Parlement ne les a pas ratifiées ». Cependant, il semble que ces conventions ne sont pas « internationales », car celles-ci engagent l’Etat et des compagnies haïtiennes, au moins sur papier.

L’ancien directeur du BME, Dieuseul Anglade, maintient que les conventions ne sont pas « illégales » puisque la décision de les signer et publier a été prise par décret.

« Les décrets ont force de loi. Si quelqu’un veut faire de la démagogie ou de la politique, il pourrait taxer les conventions d’‘illégales’. Mais autrement, les conventions sont ‘’légales’’», précise Anglade, joint par téléphone le 6 février 2013.

Dans une autre interview téléphonique, un porte-parole de « VCS Mining », qui travaille à Morne Bossa, est d’accord avec Anglade. Il insiste sur le fait que VCS a suivi la règlementation depuis le début. L’an dernier, sa firme a soumis l’« étude de faisabilité » exigée par le BME, qui fixe les étapes à suivre pour préparer la mine. Le BME l’a finalement approuvée en novembre, dit-il.

Le représentant de VCS – qui a demandé à garder l’anonymat parce que, dit-il, le projet est en attente jusqu’à la résolution du conflit entre le BME et le Sénat – affirme : « Nous avons fait le travail, tel que requis par la loi. Les permis respectent la loi ».

Le représentant affirme que sa compagnie a investi, à ce jour, plus de 4 millions $ US dans des travaux sur le site, et depuis que des chercheurs de l’ONU y ont trouvé de l’or, à la fin des années 1970, « ce sont plus de 38 millions $ US qui y ont été injectés. » Il a ajouté que sa mine éventuelle embaucherait 300 ouvriers.

Par souci de vérification et de clarification, AKJ a demandé une entrevue au directeur Remarais, mais après trois rendez-vous, elle a été finalement refusée. AKJ voulait confirmer les dires du représentant de la compagnie VCS et obtenir une copie des études de faisabilité. 

Plusieurs questions sans réponses

L’État haïtien obtient de très faibles redevances dans le cadre des contrats avec les compagnies minières : seulement 2.5 pour cent de la valeur des minéraux extraits. Un pourcentage « vraiment bas », affirme Claire Kumar, experte en redevances minières, à AKJ, lors d’une interview l’année dernière.

« En dessous de 5 pour cent, c’est carrément ridicule pour un pays comme Haïti. On ne devrait même pas en tenir compte. Dans un pays où l’État est faible, les redevances sont la source la plus sûre de revenus », dit-elle.

Selon la Loi minière haïtienne, les ententes financières prévues par une convention peuvent être « révisées ». Mais jusqu'à date, aucun fonctionnaire n’a abordé cette possibilité, ni ne s’est exprimé sur le « ridicule » taux de redevance à l’État.

Le président et directeur général de Majescor, Marc-André Bernier, avec un échantillon
de roche volcanique enrichi avec cuivre-oxyde trouvé dans la section nord
de la propriété SOMINE récemment explorée (mai 2009).

Source: Légende et photo – site internet Majescor

Il y a également les graves problèmes de manque de transparence généralisé, de l’éventuel impact social et environnemental des mines à ciel ouvert, tel que l’a documenté AKJ dans sa série de l’année dernière, et de manque de participation ou d’avantages monétaires au profit des communautés locales.  

Récemment, plus d’une centaine d’habitants vivant dans les petites maisons non loin du gisement de Morne Bossa se sont réunis pour échanger sur l’activité extractive. L’un après l’autre, ils ont posé des questions et exprimé leurs frustrations.

Les pieds d'un paysan à côté d'un marquage VCS indiquant l'emplacement d'un forage
d'essai à Morne Bossa.
Photo: AKJ/Ben Depp

« Au nom du plan néolibéral béni, les gouvernements d’Aristide, de Préval et de Martelly livrent le pays au pillage sans penser aux conséquences dévastatrices », s’est exclamé Francisco Almonord, membre de la Fédération pour le développement de Cadouche (Fedec) d’un ton amer.

Sans information, et apparemment sans des autorités locales disposées à les défendre, les agriculteurs de cette communauté ne savent pas qui est l'ennemi.

« A qui livrer bataille ? A l’État haïtien ou VCS ? », s’interroge l’agriculteur Mezadieu Toussaint.

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