Série Semer la reconstruction?
Partie 3 – Distribution de semences : que recommandent les paysans et le SSSA?
Publié le 30 mars 2011
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Le rapport du Seed System Security Assessment/Haïti, rédigé au printemps et à l’été 2010, concluait qu’aucune « crise des semences » n’a menacé les paysans haïtiens après le séisme, et qu’on n’aurait peut-être pas dû distribuer de semences. Les paysans haïtiens, aux prises avec des « contraintes financières », étaient plutôt confrontés aux problèmes de semences « profondément chroniques » qu’ils avaient toujours eus. [Voir l’article 2]
Au lieu des semences, le SSSA estime que dans la plupart des cas, il aurait été plus approprié de distribuer de l’argent liquide ou un système de coupons pour semences (qu’utilisaient certains partenaires du Cluster).
Les conclusions de Ayiti Kale Je (AKJ), bien que fondées sur quatre sources sur le terrain seulement, ont confirmé le scepticisme du SSSA.
Ambroise Pierre, le paysan de Croix des Bouquets possédant un carreau de terre (bien plus que la plupart des paysans), n’a pas accueilli de personnes déplacées et n’était pas considéré comme vulnérable. Bien qu’on ne sache pas s’il a reçu des semences du programme américain WINNER ou de la distribution (WINNER a décliné nos nombreuses demandes d’entrevue), il a reçu des semences subventionnées, et l’expérience n’a pas été concluante. [Voir l’article 1]
À Bainet, sur la Côte sud, on a vu peu de personnes déplacées, mais l’organisation américaine ACDI-VOCA, membre du cluster agriculture, a massivement distribué des semences. Par ailleurs, la distribution s’est déroulée près de deux mois après la saison des semences, et de nombreux paysans de Chomèy, dans les collines près de Bainet, ont confié à AKJ que les plants n’avaient produit aucune fève.
« Il semblerait que les semences qu’ils nous ont données sont une variété qui pousse en sol irrigué. » observait le paysan Joseph Maxo.
« La prochaine fois qu’une ONG veut nous aider, elle devrait nous en parler d’abord, et nous pourrions l’aider à trouver un plant qui pousse bien ici. Ils croyaient nous faire un cadeau, mais ils ont fait plus de tort que de bien », ajouta-t-il.
Interrogé sur la distribution de Bainet, Emmet Murphy, directeur de la division Haïti de l’ACDI-VOCA, a répondu que les semences de haricots étaient adaptées à la région. Qu’elles étaient, en fait, de souche locale.
Et c’est précisément pourquoi la distribution fut tardive. Contrairement à la quasi-totalité des acteurs humanitaires, l’ACDI-VODA utilise des semences locales, qu’elle « prête » aux paysans, qui doivent alors lui remettre la même quantité de semences. Selon lui, le séisme a perturbé le calendrier de multiplication des semences. Et les pluies printanières sont arrivées plus tard, ce qui a eu un impact négatif sur les récoltes partout dans le Sud-Est.
M. Murphy admet toutefois que l’ACDI-VODA a « doublé ou triplé » sa distribution de semences à la suite du désastre. Cette distribution s’inscrivait dans le cadre d’une subvention de 3 878 712 $, que l’ONG a obtenue par appel éclair.
« C’est vraiment dommage que l’incident de Bainet soit comparé à une distribution normale. » déplorait-il. « Nous travaillons avec la FAO de façon très prudente. Nous choisissons les semences et l’endroit avec soin. »
En effet, le processus de prêt de semences de l’ACDI-VOCA semble faire partie des projets plus durables. Il travaille avec le MARDNR autant que possible, car « si vous ne travaillez pas avec le gouvernement, vous ne devriez pas être ici. »
Programme ACDI-VOCA de multiplication des semences.
Néanmoins, malgré les bonnes intentions de l’ACDI-VOCA, les résultats sont les mêmes à Chomèy.
Jean Robert Cadichon, un paysan qu’a rencontré AKJ, est contrarié : « Ce que j’ai à dire aux ONG c’est que, si Haïti est le pays le plus pauvre, ça ne les autorise pas à nous donner n’importe quoi, n’importe quand. »
Les paysans de Fondwa, dans les montagnes surplombant Leogane, ont également rapporté avoir reçu leurs semences tard.
Lionel Beauvais, un fonctionnaire local a expliqué à AKJ que la FAO avait distribué des semences de haricots rouges et noirs, même si les dix sacs distribués se sont avérés insuffisants. De plus, elles n’ont pas toutes produit des récoltes. Certaines ont germé et ont donné un bon rendement, « d’autre n’ont rien produit ».
Il a fait remarquer que ni lui ni les autres fonctionnaires locaux n’avaient demandé ces semences. On nous a simplement « informés que des semences allaient être données ».
Selon M. Beauvais, la distribution de semences a été « positive, parce que le peu qu’ont reçu les paysans leur a servi, mais négative parce que… c’était trop peu et trop tard. On ne pouvait pas en donner à tout le monde. Mais tout le monde le savait et tout le monde en demandait. »
Un agriculteur femme obtient des semences d'un travailleur de
la FAO, tandis que d'autres suivent. Source: FAO
Ernest Laguerre, propriétaire du magasin de produits agricoles Ti Kay Nou Peyizan Pwodui Agrikòl, s’est plaint à AKJ que la distribution de semences gratuites ou subventionnées et certains autres programmes d’aide nuisaient à son commerce.
J’aimerais demander aux ONG de travailler avec les distributeurs de semences qui sont déjà sur place. Nous connaissons le terrain, nous pourrions travailler ensemble à une meilleure politique…
Avec toutes les ONG et toutes les compagnies de semences, nous pourrions échanger des idées et trouver une solution pour améliorer notre agriculture.
À Bainet et à Fondwa, comme à Croix des Bouquets, où le « projet maïs » de M. Pierre a échoué, les paysans ont aimé l’idée des semences gratuites ou à peu de frais, mais ont aussi critiqué le projet.
Ces critiques, bien qu’anecdotiques, correspondent aux conclusions du SSSA, qui recommandait que la distribution de semences en Haïti se fasse « honnêtement », en rappelant ce qui suit :
1. L’assistance semencière d’urgence devrait uniquement être utilisée pour répondre aux urgences et lorsque la sécurité des semences pose problème. À noter que les projections actuelles des paysans pour août/septembre 2010 suggèrent qu’ils peuvent avoir accès aux semences dont ils ont besoin.
2. Toutes les semences mises à la disposition des paysans par des interventions d’assistance doivent : a) être adaptées aux conditions locales, b) correspondre aux préférences des paysans et c) s’avérer “au moins d’aussi bonne qualité“ que ce qu’utilisent généralement les paysans.
2.1 On ne devrait jamais introduire dans un contexte d’urgence de nouvelles variétés qui n’ont pas été testées sur le site agroécologique en question et sous les conditions de gestion des paysans.
[Pour voir le reste des recommandations, téléchargez le rapport ici]
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