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Série Semer la Reconstruction?

Partie 2 : Crise des semences ou crise chronique?

Publié le 30 mars 2011

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Le Cluster agriculture n’a pas obtenu la totalité des 70 640 554 $ demandés pour ses 26 projets d’urgence mais seulement  31 526 150 $.

« Les donateurs ont été très généreux, et nous les en remercions tous », écrivait Francesco Del Re, coordonnateur du Cluster à AKJ, dans un récent courriel, mais « leur geste était loin de répondre aux besoins » du cluster et du ministère haïtien de l’Agriculture (MARDNR).

Environ 20 millions $ sont allés à la distribution de semences, de boutures et d’outils, selon M. Del Re. Si les chiffres exacts varient, d’après la FAO, pour le printemps seul, 2534 tonnes métriques (TM) de légumineuses ont été distribuées par les membres du Cluster.

Carte de la Cluster agriculture montrant la distribution des semences pour
le printemps 2010. 

Toujours selon M. Del Re, « La logique derrière [cette distribution] c’est que, dans les zones sinistrées par le séisme et dans les zones ayant reçu un grand nombre de personnes déplacées, les paysans ont perdu leur capital.  Ce n’était pas une distribution générale. C’était une distribution bien ciblée, pour les plus vulnérables. »

Dans un autre courriel, M. Del Re expliquait à AKJ que, « En plus d’aider les zones directement affectées, le cluster veut contribuer à la saison agricole en général, pour maximiser la disponibilité des aliments en temps difficiles. »

En tout, c’est 395 000 familles, soit peut-être le tiers ou la moitié de la population paysanne, que nous avons jointes au cours de l’année 2010.

Si le MARDNR n’a pas coordonné la distribution, il a établi la liste des semences jugées acceptables. L’importation de nouvelles variétés de semences et de plantes, sans contrôles ni tests adéquats, peut entraîner de mauvaises récoltes et la contamination d’espèces indigènes. (C’est par ailleurs illégal, en regard du Droit haïtien, de l’Organisation mondiale du commerce et des conventions internationales qu’Haïti a signées.)

(Pourtant, avec l'approbation du ministre de l’Agriculture haïtien, Joanas Gue, le projet américain WINNER a distribué des variétés jamais utilisées auparavant, comme des hybrides des compagnies PIONEER et MONSANTO. [Voir Monsanto en Haïti.])

Selon le MARDNR, les paysans haïtiens ont besoin d’environ 11 220 TM de semences de céréales et de haricots chaque printemps; et, d’après les statistiques du cluster, au moins 23 pour cent des besoins en semences ont été couverts pour la saison—et probablement plus, car les organisations ne sont pas toutes coordonnées par le Cluster.

« Crise des semences » ou problème « chronique »?

Tous les experts ne s’entendent pas pour dire qu’Haïti a fait face à « une crise des semences » l’an dernier.

En effet, M. Del Re admet qu’il y a des « opinions très ancrées » et que, « au moment où l’on se parle, le débat fait rage sur la meilleure façon de subventionner ou d’appuyer l’agriculture haïtienne. »

Parmi les opinions très ancrées—à propos des semences et de l’aide aux semences—il y a celle de Louise Sperling, chercheur principal à le Centre Internationale pour l'Agriculture Tropicale (CIAT).

La chercheuse est arrivée à ses conclusions en travaillant sur le rapport de 115 pages, Seed System Security Assessment/Haïti (système d'évaluation de la sécurité des semences) [PDF], qui analysait l’impact du séisme sur les foyers et les revenus agricoles, et les enjeux de la crise des semences.

Le rapport, publié en août mais dont les membres du Cluster ont obtenu les principales observations et recommandations en juin, était financé par l’USAID et produit en collaboration avec le MARDNR, la FAO et plusieurs grandes instances de développement.

Mme Sperling et ses collègues ont remarqué que le phénomène des « paysans qui consomment leurs semences » ne constitue pas une « Crise des semences ».

« Contrairement à presque partout ailleurs dans le monde, ‘le fait de manger et de vendre ses semences’ n’est pas un signe de détresse en Haïti : c’est une pratique normale », notaient les auteurs.

Il n’y a donc pas eu de « crise des semences ». Les paysans ont plutôt subi des « contraintes financières » (manque de liquidité et de crédit) et les défis « profondément chroniques » du système de semences haïtien.

Pour sa part, Mme Sperling, qui a travaillé dans plus de 20 pays africains depuis près de trois décennies, à travers les guerres, les sécheresses et un génocide, pensait avoir tout vu. Jusqu’à ce qu’elle visite Haïti.

« Je ne suis pas sûre d’avoir déjà vu si peu d’innovation », affirmait-elle dans une entrevue accordée à AKJ par Internet, à partir de la Tanzanie. « Les petits paysans ont largement été laissés loin derrière. »

Pour Mme Sterling et ses collègues du SSSA, la « distribution directe de semences » fut un mauvais choix politique : on ne devrait y recourir qu’en cas de manque de semences. En Haïti, même après le séisme, on trouvait des semences en quantité suffisante—même si de qualité inférieure—dans les marchés informels, et dans certains cas, chez les fournisseurs commerciaux.

Souvent, les secours ne répondaient pas au problème de semences immédiat : le problème en était clairement un de stress financier, qui pouvait rendre difficile l’accès à une grande variété de biens, notamment les semences. L’accès direct à des semences ne représentait pas une contrainte importante.

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À quoi l’enquête d’Ayiti Kale Je a-t-elle abouti?

Devrait-on poursuivre la distribution de semences?

Lire Partie 3 – Distribution de semences : que recommandent les paysans et le SSSA?

Lire aussi Monsanto en Haïti

Lire Semer la reconstruction ou la destruction? - l'article de synthèse, et regarder les vidéos (créole) et écouter les programmes audio (créole)