Monsanto en Haïti
Une série de 4 articles
Publié le 30 mars 2011
Au printemps dernier, la compagnie agroalimentaire Monsanto annonçait un don de 4 M$ en semences « pour appuyer l’effort de reconstruction » en Haïti. Le « don »—il s’agirait de semences de maïs et de légumes hybrides—représentait la promesse de 505 tonnes de semences, réparties sur 12 mois.
Six mois après la prétendue distribution de la première livraison, Ayiti Kale Je (AKJ) a décidé de faire le suivi du don controversé, particulièrement les semences de maïs hybride.
• Les semences ont-elles été approuvées par le gouvernement?
• Où les semences ont-elles été distribuées?
• Est-ce que les paysans—à qui on avait promis les semences pour seulement 10 pour cent de la valeur du marché—ont apprécié ces semences? Ont-ils compris ce que signifie « hybride » par rapport à l’utilisation des semences de la génération suivante?
• A-t-on pris les précautions adéquates quant à ces semences, qui sont enduites de fongicides et de pesticides potentiellement toxiques?
• Et la suite du « cadeau » sera-t-elle distribuée, ou l’a-t-elle déjà été?
• Est-il possible que les paysans haïtiens deviennent dépendants des semences fortement subventionnées, de Monsanto ou autres, pour en voir le prix exploser d’un seul coup dans quelques années, à l’instar du marché hypothécaire aux États-Unis?
Partie 1 – Les origines du « cadeau »
La première livraison—60 tonnes de semences—est arrivée au début de mai, et selon Monsanto, la deuxième—de 70 tonnes—devait arriver peu après.
Communiqué de presse de Monsanto
Il n’est pas étonnant que le « cadeau » ait semé la controverse en Haïti et à l’étranger, vu le passé de Monsanto.
Monsanto est la plus grande compagnie de semences au monde et l’un des plus grands fabricants de pesticides. Le monstre domine le marché mondial des semences brevetées, un marché qui valait plus de 32 milliards $ en 2010, soit 10 pour cent de plus que l’année précédente.
Le géant de l’agrobusiness est connu pour son marketing agressif et ses tactiques parfois illégales, comme la création d’un monopole potentiellement mondial en achetant tous ses concurrents, les pots-de-vin, l’infiltration d’associations paysannes par ses mercenaires et des batailles juridiques impitoyables, notamment des poursuites contre des paysans. La compagnie est actuellement sous enquête dans sept états américains pour avoir tenté de mettre ses concurrents hors combat.
L’ancien fabricant de l’agent Orange est également le premier producteur mondial d’organismes génétiquement modifiés ou « OGM ».
Vu le marketing agressif de ses semences et autres produits OGM, Monsanto s’est attiré la colère de dizaines de milliers de paysans, notamment les agriculteurs « bio » et autres travailleurs de la sécurité alimentaire, de nombreuses campagnes négatives, comme « Millions Against Monsanto » une journée internationale contre les multinationales organisée par Via Campesina, et un documentaire accablant, Le Monde Selon Monsanto, qui cumule les preuves contre les actions de Monsanto à travers le monde [Voir le documentaire].
En Haïti, un projet financé par l’agence américaine de développement international (USAID) a accepté le « cadeau » de Monsanto. Le programme USAID/WINNER (Watershed Initiative for National Natural Environmental Resources), un projet environnemental et agricole, a un budget de 126 M$ répartis sur cinq ans. Mais il n’est pas dirigé par n’importe quelle organisation agronome : WINNER est dirigé par le géant routier Chemonics International, qui, en 2010, se classait en 51e position parmi les 100 plus grands fournisseurs mondiaux du gouvernement américain, avec un carnet de commandes annuel de plus de 476 M$. Le chef de partie (COP) du programme USAID/WINNER, Jean-Robert Estimé, n’est pas non plus n’importe quel Haïtien : M. Estimé était ministre des Affaires étrangères sous la dictature de Jean-Claude Duvalier. Il a ensuite travaillé pour Chemonics en Afrique.
Se réclamant d’une « approche axée sur le paysan », USAID/WINNER travaille avec 200 groupes de paysans, selon son site Internet, avec l’approbation et la collaboration du gouvernement haïtien.
NOTE – Dans cette série, nous ne traiterons pas du travail de WINNER, qui – selon son matériel médiatique – comprend des fermes de démonstration, de la formation, ainsi que « des plans de gestion des bassins versants, le renforcement des associations paysannes, l’accès à une expertise et des fournitures vitales (semences, engrais, crédit, outils), et le reboisement », et qui prétend contribuer à améliorer les conditions de vie des populations vivant dans les bassins versants ciblés, à réduire la menace d’inondations, à investir dans la croissance économique durable et la protection environnementale. Nous nous concentrerons uniquement sur le « cadeau » des semences Monsanto. USAID/WINNER a refusé nos nombreuses demandes écrites et verbales d’entrevues avec des journalistes de l’AlterPresse, un partenaire d’AKJ.
Un « cadeau » nécessaire?
Sorti de nulle part, dans un communiqué daté du 13 mai, Monsanto annonçait : « Les agriculteurs haïtiens, qui, autrement, n'auraient pas suffisamment de semences à planter cette saison [notre insistance] après le tremblement de terre qui a récemment ravagé leur pays, ont reçu une aide d’origine publique et privée… »
Sauf que… selon plusieurs rapports, les paysans haïtiens avaient suffisamment de semences pour la saison.
L’annonce du « cadeau » de Monsanto arrivait deux mois après que le CRS (Catholic Relief Service)—qui a une longue expérience dans le développement de l’agriculture haïtienne—ait publié son rapport « Évaluation rapide de semences » [en PDF] ciblant le sud d’Haïti, l’une des régions les plus touchées par le séisme. L’évaluation, qui a circulé parmi les organisations humanitaires et de développement en Haïti, ainsi qu’une autre, dont les conclusions étaient distribuées en juin (voir Semer la reconstruction?), émettaient toutes les deux une mise en garde contre l’importation et la distribution de semences. Le CRS écrivait :
La distribution directe de semences ne devrait pas avoir lieu puisque les semences sont disponibles sur le marché local et que les paysans ont une perception négative des semences étrangères. Cette urgence ne constitue pas le meilleur moment pour tenter d’introduire des variétés améliorées, autrement qu’à petite échelle, pour permettre aux paysans de les évaluer. [notre insistance]
Dans son document post-séisme, le ministère haïtien de l’Agriculture (MARDNR) a néanmoins demandé la distribution massive de semences—pour couvrir 30 pour cent des besoins des paysans—pendant les trois saisons après le séisme, et a chaudement approuvé le « cadeau » de Monsanto, même si le fait de permettre l’introduction de nouvelles variétés (le maïs et la plupart des variétés potagères) en sol haïtien va directement à l’encontre du droit haïtien et des conventions internationales.
Le MARDNR a publié une liste de variétés de semences « approuvées » en mars. Aucune des variétés de maïs de la liste n’était hybride.
Selon Monsanto, toutefois, « le ministère » avait approuvé les semences, et remerciait Monsanto dans un courriel pour son généreux don de semences potagères et de maïs hybride, pour le bien des paysans haïtiens.
Les variétés de semences Monsanto qui furent livrées en Haïti étaient traitées avec des fongicides et des herbicides potentiellement toxiques, mais le ministère – toujours selon Monsanto – avait également affirmé que ces produits, potentiellement toxiques ou cancérigènes, comme le Mancozeb, le Yhiram et le Maxim XL, étaient couramment utilisés en agriculture et qu’ils ne devraient poser aucun problème.
Le directeur d’USAID/WINNER, M. Estimé, était également ravi du don.
Dans le communiqué de Monsanto, il disait vouloir joindre 10 000 paysans durant la saison agricole. « Les légumes et les graines que produiront ces semences permettront de nourrir les paysans, leur famille et la communauté en général, et leur fourniront des occasions d’affaires. L’agriculture est un élément-clé du rétablissement à long terme. »
L’USAID/WINNER a promis de distribuer des semences gratuites dans les boutiques d’intrants agricoles (BIA) des associations paysannes adhérant du programme. Ces magasins vendent généralement aux paysans des semences, des engrais et autres produits, au dixième de la valeur du marché.
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