Série Semer la reconstruction?
Partie 4 – La distribution de semences : un mal nécessaire?
Publié le 30 mars 2011
4e de 5 articles
En août 2010, un rapport inter-agences de 115 pages recommandait de faire cesser ou de « raffiner » la distribution de semences aux paysans haïtiens parce que « l’assistance semencière d’urgence devrait uniquement être utilisée pour répondre aux urgences et lorsque la sécurité des semences pose problème ».
Le rapport du Seed System Security Assessment/Haïti, rédigé principalement par la chercheuse Louise Sperling du Centre international d'agriculture tropicale CIAT), concluait qu’Haïti avait un problème de semences « profondément chronique » : c’était principalement un manque de semences de qualité adéquate, et que les paysans haïtiens ne vivaient aucune « crise des semences » comme tel.
Malgré cela, la distribution s’est poursuivie tout au long de 2010, selon le plan original du cluster agriculture et les recommandations du ministère de l’Agriculture (MARDNR) [voir l'article 2], même si au début de l’été, la plupart des déplacées avaient déjà quitté les régions rurales.
Graphique montrant les téléphones cellulaires quittant Port-au-Prince
et de retour dans la capitale. Source: Internal Population Displacement in Haiti, Karolinska Institutet and Columbia University, May 14, 2010.
Au 11 mars, quelque 40 pour cent des déplacées étaient retournés dans la capitale, et le 18 juin, 66 pour cent étaient repartis, il ne restait donc plus que quelque 125 000 déplacées dans les régions rurales.
Dans un courriel de la mi-mars, Francesco Del Re, coordonnateur du Cluster agriculture de la FAO (des Nations Unies), expliquait à AKJ que tous les acteurs du Cluster n’étaient pas d’accord avec le SSSA, et qu’il y avait certaines « opinions très ancrées », ajoutant que, « au moment où l’on se parle, le débat fait rage sur la meilleure façon de subventionner ou d’appuyer l’agriculture haïtienne ».
Le 8 février, lors d’une réunion du cluster agriculture, où, pour la deuxième fois consécutive, aucun représentant du MARDNR n’était présent, la FAO annonçait qu’il y aurait une distribution de 1508 TM de céréales et de légumineuses, et de 3082 Kg de semences potagères, dans quatre départements au printemps. « Quelque 150 000 à 200 000 familles bénéficieront de la distribution de semences, de boutures et d’outils agricoles », ajouta M. Del Re.
« Cette année, nous ne ferons pas une trop grande distribution directe de semences et d’outils parce que nous voulons commencer à faire du travail plus durable. »
Lorsqu’on a demandé pourquoi seules certaines régions étaient choisies, un autre membre du FAO, Carmen Morales, répondit « ce sont les régions directement affectées par le séisme », ajoutant que « C’est là que travaillent les donateurs. Soyons clairs là-dessus. »
Selon M. Del Re, la distribution de semences est un « mal nécessaire ».
« Ce n’est pas idéal. Ce n’est pas le type d’intervention que nous préférerions. Elle ne répond pas aux problèmes structurels », admit-il, mais ajouta dans une correspondance plus tard : « Nous, les membres du cluster, sommes convaincus que l’intervention de l’an dernier avait réellement lieu d’être, et que l’impact global a été positif. »
Et il a insisté sur l'importance de la distribution de 2011, qui est plus petite que la distribution de la saison précédente, mais pas moins significative.
Lorsque Sperling a appris que le Cluster a décidé de poursuivre les distributions en 2011, elle a fait cette déclaration générale sur les distributions de semences, par courriel:
L'aide directe de semences – lorsqu'elle n'est pas nécessaire, et quand elle est faite de façon répétitive – peut faire un mal réel. Il sape les systèmes locaux, crée des dépendances et étouffe le développement du secteur commercial.
Sperling n'a pas hésité à identifier l'un des moteurs de ce qu'elle appelle « l'aide inutile », en disant que certains acteurs humanitaires « semblent offrir les semences comme une intervention facile, oú ils peuvent facilement faire de l'argent – même si leurs actions peuvent nuire aux agriculteurs pauvres. »
M. Del Re faisait également remarquer que la FAO et d’autres intervenants, comme l’ACDI-VOCA et WINNER, travaillent à des projets de développement agricole (et non d’urgence), comme le développement de semences « de qualité » et « améliorées ».
De plus, la FAO a récemment demandé un financement de 5 M$ pour un nouveau programme qui comporterait un appui financier et technique aux efforts de multiplication des semences. La demande s’inscrit dans un programme du cluster agricole totalisant 43 087 517 $ et réparti en 22 projets pour l’année 2011.
Mais la distribution de semences au printemps de 2011 est plus qu'une demande – Elle faisait déjà partie du programme.
L’agronome Mathieu Lucien, directeur adjoint ACDI-VOCA est d'accord avec Sperling. Dans un courriel, il dit à AKJ: « les distributions chaque année ne sont pas la solution. En printemps [2010], il etait important de stimuler rapidement la production alimentaire sur un niveau plus large ... [mais] passer rapidement à une approche à plus long terme devrait suivre rapidement. "
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