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Série Semer la reconstruction?

Partie 5 - Semences en Haïti - Qui est responsable?

Publié 30 mars 2011

5e de 5 articles

Géographiquement parlant, Emmanuel Prophète, le directeur du Service National Semencier (SNS), travaille près des « bases logistiques » ou « Log Base » de l’ONU, où se tiennent les réunions du cluster agricole. Il y participe à l’occasion. Mais son immeuble délabré et son petit jardin expérimental, situés derrière la coquille décrépite des bureaux du ministère de l’Agriculture, à Damien, sont bien loin des budgets multimillionaires de l’USAID, d’Oxfam, de la FAO et d’autres organisations travaillant pour l’agriculture haïtienne.

M. Prophete ne semble pas jaloux ni même en colère. Un peu frustré peut-être : il se passionne pour les semences et la façon dont les semences améliorées et les engrais peuvent aider les paysans haïtiens à augmenter leur production. (M. Prophète défend la décision du ministère d’accepter le don de Monsanto en semences de maïs et potagères hybrides. Lire Monsanto en Haïti.)

L’agronome travaille au MARDNR depuis près de 35 ans. Il a rédigé des budgets, assisté aux conférences, écouté les politiciens faire des promesses et vu les projets se succéder. Et il a assisté au déclin du secteur agricole haïtien.

L’agronome est ravi que les paysans haïtiens aient eu accès à des semences améliorées, des outils et d’autres intrants, via divers projets et les secours d’urgence. La distribution aide à stimuler la production, mais « le système est fondé sur une subvention… Il faut se questionner sur sa viabilité, car si la politique change un jour, où les paysans trouveront-ils des semences? » observe-t-il.

Emmanuel Prophète, directeur du Service national des semencier, dans l'un
des champs du ministère de l'Agriculture.

« L’assistance semencière d’urgence en 2010 ne constitue rien de neuf. » D’une certaine façon, on peut percevoir ces distributions comme la suite du projet de 2008-2009 mené par la FAO-MARDNR, au coût de 10,2 M$, qui fournit à 240 000 familles des semences de « qualité » provenant de pays comme le Guatemala, et qui finança aussi les efforts de multiplication de semences de « qualité ». Sur son site Internet, la FAO affirme que l’effort a lancé une « renaissance agricole », et, en effet, d’après le MARDNR et la FAO, la production agricole a bondi de 25 pour cent au printemps 2009, comparativement à l’année précédente.

Mais est-ce viable?

Si vous voulez parler de viabilité, cette approche n’est pas la meilleure. C’est une approche de crise. L’an dernier, on a eu le séisme. Nous sommes encore en crise. Mais tôt ou tard, ces distributions cesseront… Nous avons eu beaucoup de semences et, viendra le jour où, soudain, quand toutes les ONG seront parties, nous n’en aurons plus.

La position de M. Prophète est délicate. Car il y a quelques années, les semences sont finalement devenues une priorité. Aujourd’hui, le SNS et lui se trouvent exactement là où ils étaient avant cette priorité : dans une pièce minuscule, avec un bureau minuscule et deux employés… lui et son assistant.

Alors, M. Prophète collabore. Le SNS est prêt à contribuer à tout effort qui puisse aider les paysans haïtiens : la FAO, l’ACDI-VOCA, WINNER. Par exemple, le SNS collaborera avec le nouveau projet semencier de la FAO cette année, assure-t-il, et, le printemps dernier, le MARDNR était parmi les grands distributeurs de semences, dispensant près de 1000 TM.

Or, le SNS n’est pas à la tête du nouveau projet semencier de la FAO, pas plus que lors de la distribution des nombreux millions de dollars en semences. En fait, M. Prophète n’avait pas été mis au courant de la distribution printanière annoncée à la réunion du cluster du 8 février, jusqu’à ce que AKJ lui présente la feuille de calcul Excel.

Et le SNS ne reçoit pas de financement du projet du cluster agriculture.

Des 31 526 150 $ qui sont allés aux projets du cluster agricole en 2010, le MARDNR en a reçu zéro, selon des documents de l’ONU.

Et des 43 087 517 $ demandés en 2011 pour 22 projets, le MARDNR est listé comme principal bénéficiaire de zéro projet.

Lorsqu’on l’a questionné sur cette demande, M. Prophète nous a répondu en termes aussi pragmatiques que généraux : 

S’ils l’obtiennent, bravo; s’ils ne l’obtiennent pas, ça n’arriverait pas jusqu’à Damien de toute façon. Mais si cet argent peut d’une quelconque manière profiter aux paysans, je suis 100 pour cent d’accord avec leur demande.

Mettre un terme au « système d’urgence d’urgence d’urgence »

Le plan quinquennal d’investissement du MARDNR requiert une distribution de semences d’urgence pendant trois saisons (c’est-à-dire jusqu’à janvier 2011), mais prévoit un plan d’« Accès aux intrants et services » à moyen terme. Le plan requiert un investissement de 2,4 M$ dans le SNS, et davantage dans d’autres projets et institutions, afin de pouvoir bâtir un « système de semences de qualité » autosuffisant, réglementé par le gouvernement et axé sur le marché.

« Pour que le système soit viable, il faut que ce soit le budget d’État, le trésor public, qui dise : ‘Voici de l’argent pour les semences’… Ce n’est qu’en renforçant les structures étatiques que le pays avancera » soutient M. Prophète.

Rien d’étonnant que M. Prophète le voie ainsi. Selon un récent rapport d’Oxfam, de 2000 à 2005, seuls 2,5 pour cent de l’aide au développement est allée à l’agriculture, et depuis toujours, l’aide alimentaire supplante l’aide à l’agriculture.

De ce qu’en sait M. Prophète, à ce jour, le budget pour l’« Accès aux intrants et services agricoles » à moyen terme, qui comprend l’amélioration du secteur semencier, n’a pas reçu encore de financement. Et il craint que l’agriculture ne fasse pas partie des priorités du nouveau gouvernement.

« Jusqu’ici, je ne les ai entendus parler que d’éducation » déplore-t-il.

Le financement de la « reconstruction » semble également laisser l’agriculture de côté.

Selon l’« Assistance Tracker » du bureau de l’envoyé spécial de l’ONU, en date du 19 mars, des 260 M$ requis pour l’agriculture, 186 M$ ont été promis, mais seuls 24,4 M$—à peine neuf pour cent—ont été déboursés.

Si ces millions sont déboursés, iront-ils au ministère de l’Agriculture et au SNS, et l’État pourra-t-il bâtir le « système de semences de qualité » qu’il envisage?

Et pour les questions structurelles…

•    Le ministère et le gouvernement feront-ils respecter les lois et les conventions interdisant l’importation de semences et de plantes étrangères?

•    Le gouvernement s’en prendra-t-il aux grands propriétaires terriens et à ceux qui gardent les paysans en otages depuis l’indépendance, il y a plus de 200 ans?

•    Établira-t-on un plan pour l’énergie qui rendra le charbon, et le déboisement, désuets?

•    Un secteur agricole axé sur le marché peut-il survivre en terrain inégal au niveau régional et international, alors que certains gouvernements subventionnent leur agriculture?

•    Et le gouvernement attaquera-t-il Washington et les autres acteurs pour avoir introduit de force le système de bas prix néolibéral dans l’économie haïtienne?

M. Prophète ne peut pas répondre à ces questions ni contrôler ces décisions, mais il s’y connaît en semences.

En nous montrant une variété de haricots qu’il a testée avec son collègue, il affirme :

« Je veux travailler pour le long terme. Je crois qu’il faut se sortir de ce système d’urgence d’urgence d’urgence. »

5e de 5 articles

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