Série Monsanto en Haïti
Partie 4 – Ce que Ayiti Kale Je a découvert
4e de 4 articles
Publié le 30 mars 2011
USAID/WINNER a tenté d’empêcher Ayiti Kale Je d’enquêter en leur refusant les entrevues et l’information sur ceux qui avaient reçu les semences Monsanto.
Mais après de nombreux appels téléphoniques, visites en région rurale et heures de recherche, nos journalistes ont réussi à trouver une association qui s’est fait un plaisir de nous parler de Monsanto et d’autres aides semencières.
Un peu naïvement peut-être, les membres de l’association nous ont accordé des entrevues et nous ont montré leur boutique d’intrants agricoles (BIA). Toutefois, vu l’agressivité avec laquelle WINNER a tenté de bloquer nos investigations et autres demandes médiatiques, AKJ a décidé de tenir secrète l’identité de l’association et de ses membres.
On les nommera « Association » et « Paysan », même si AKJ a parlé à deux membres distincts de l’Association. La principale entrevue fut menée auprès d’un membre ayant reçu une formation de « Paysan Vulgarisateur » (PV). Selon un article du Nouvelliste, Paysan fait partie des 840 Paysans Vulgarisateurs formés en 2010.
NOTE : Ce partenaire d’USAID/WINNER n’est qu’une des 200 associations avec qui le projet prétend travailler. Si l’on ne peut présumer que tous les partenaires sont comme l’Association, on ne peut non plus présumer que l’Association est le « mouton noir ». Si AKJ avait eu accès à la liste des partenaires de WINNER, notre étude aurait pu être plus scientifique.
Dangers pour l’homme et l’environnement
Le BIA de l’Association est, en fait, une pièce dans un immeuble communautaire, que AKJ a trouvé non verrouillé et sans surveillance lors d’au moins une de ses visites. L’immeuble est situé dans un quartier rempli de familles et d’enfants.
Dans la pièce, les poches de semences de sorgho et de maïs, les sacs d’engrais et les boîtes de semences étaient empilés dans le désordre. Certaines poches étaient identifiées, d’autres non. Des semences de maïs enduites d’un produit chimique rose bonbon débordaient de plusieurs sacs de Monsanto/DeKalb Brésil, sur le sol.
Il y avait d’autres semences de maïs dans des sacs blancs non identifiés, troués… par des rats? Des enfants? Des paysans? Ces semences étaient recouvertes de poudre blanche.
Un demi-sac de semences Pioneer, probablement hybrides, elles aussi, et probablement traitées aux fongicides et aux herbicides, traîne, ouvert. Le soleil pénètre par les deux fenêtres, ce qui signifie que le Maxim XL, qui se disperse dans l’air et dont les semences Monsanto/DeKalb sont enduites, ainsi que d’autres fongicides, pesticides et engrais aéroportés, pourrait tout aussi librement pénétrer au dehors. Jusque dans les poumons des écoliers, qui sont tout près.
Selon Syngenta, fabricant du Maxim XL, le fongicide est appliqué sur « plus de 90 pour cent du maïs hybride » aux États-Unis. Syngenta, ainsi que d’autres documents, nous avertit que le produit est dangereux s’il entre en contact avec les yeux et la peau, et s’il est inhalé. « NE PAS utiliser les semences traitées pour la consommation animale ou humaine… NE PAS laisser les semences traitées contaminer les graines et autres semences destinées à la consommation animale ou humaine. NE PAS nourrir les oiseaux sauvages ou domestiques avec semences traitées ni les y exposer. », peut-on lire sur une étiquette de mise en garde.
Les boîtes de semences potagères—probablement de Monsanto, mais non identifiées comme telles—sont placées pêle-mêle. De nombreuses semences sont traitées au Thiram. En 2004, l’agence de protection environnementale (EPA) a établi que le Thiram ne pouvait être utilisé dans les jardins domestiques et les terrains de jeu, et sur les pommes. Un rapport de 260 pages décrivait aussi les effets indésirables sur la santé humaine, avec des détails comme « le profil de toxicité chronique du Thiram indique que les organes cibles sont le foie, le sang et le système urinaire. » Le Thiram a également des « effets » sur les fonctions reproductrices des oiseaux granivores, et les semences qui en sont enduites ne devaient pas être semés directement sur le sol.
Il y a également des sacs de Mancozeb. L’ÉPA a aussi investigué le Mancozeb récemment (2005) [PDF], précisant que le fongicide « présente des risques sévères et chroniques pour les oiseaux et les mammifères », et que ceux qui le manipulent doivent porter des vêtements de protection totale, des gants et un respirateur « PF 5 ».
« Oui, tout ceci est dangereux. Lorsqu’il utilise le Mancozeb, le paysan doit porter un masque facial, des lunettes et des gants », confirme Paysan. « L’USAID ne nous les fournit pas, mais nous les achetons pour les mettre à la disposition des paysans. »
Quand AKJ a demandé à Paysan où étaient entreposés les gants et les masques, il fouilla sous des sacs de semences.
« Eh bien, il en manque peut-être, mais nous en achetons toujours et nous les gardons ici », répondit-il en hésitant. « Je ne sais pas où ils sont exactement. »
Paysan et les journalistes ont cherché partout dans la pièce. Il n’y avait pas d’équipement de protection.
Quand nous lui avons fait remarquer les sacs ouverts, Paysan a répondu que l’Association avait l’intention de moudre les semences de sorgho et de maïs pour nourrir les poulets, car elles étaient « expirées » (il n’y avait aucune date d’expiration sur les poches). Choqués, les journalistes de AKJ ont mentionné que sur les poches des deux variétés de maïs—du moins celles qui étaient identifiées, car une des variétés de maïs et une de sorgho n’étaient pas identifiées—on indiquait le danger pour la consommation humaine et animale.
Paysan a promis de ne pas les utiliser pour nourrir les poulets de l’Association.
Créer une dépendance?
Bien que Paysan était censé avoir reçu une formation de paysan vulgarisateur, il ne semblait pas bien connaître les variétés de semences dans la pièce, ni le type de dépendance que leur utilisation pouvait créer.
Mais il savait une chose : lui et d’autres paysans avaient tellement aimé les semences Monsanto que l’Association en avait manqué et avait dû en demander d’autres à WINNER. L’Association avait encore les « Pioneer », qui étaient populaires aussi, ajouta Paysan, en plongeant une main nue dans la poche ouverte pour ramasser quelques graines.
« C’est bon et c’est rapide… Les paysans d’ici les aiment parce qu’elles mûrissent vite. »
À savoir s’il s’agissait d’hybrides, Paysan a répondu : « Non, ce ne sont pas des hybrides. Ce sont des Pioneer. C’est une variété de maïs importé enduite de produits l’empêchant de pourrir. »
En fait, le maïs Pioneer, qui appartient à Dupont, le grand rival de Monsanto, est hybride. Il est également enduit de Maxim XL et d’autres fongicides et pesticides.
Et à propos de la pile de sacs de maïs rouge-écarlate, Paysan ne savait pas d’où elles provenaient ni s’il s’agissait d’hybrides.
AKJ fit remarquer que les poches rouges DeKalb contenaient du maïs hybride Monsanto.
« Nous aimons les semences Monsanto », répéta Paysan. Mais il observa que les plus gros grains ne convenaient pas toujours aux moulins des paysans. Il ajouta que certains paysans ne voulaient pas planter les semences des poches rouges parce qu’ils n’étaient pas familiarisés avec les poches.
« Avant, les paysans n’utilisaient pas les plantes hybrides. Ils utilisaient les variétés locales… Ils ne voyaient pas les avantages des hybrides; mais nous avons ensemencé un champ avec des hybrides et maintenant ils voient à quel point les hybrides produisent », affirmait Paysan. « Vous obtenez deux à trois épis sur chaque tige. L’avantage est réel. »
Les paysans du coin aiment BIA parce que tous les produits—semences, fongicides et engrais—s’y vendent à 10 pour cent du prix réel. Ça a aussi encouragé les paysans à acheter de nouvelles variétés, ajouta-t-il.
Ici, ils trouvent des produits de toute sorte, et ça ne leur coûte pas trop cher. Ils n’ont plus à se crever comme avant. Ils peuvent semer, récolter, vendre ou manger. Ils n’ont plus à réserver une partie de leurs semences, car ils savent qu’ils pourront en trouver à la boutique. [notre insistance]
Et qu’arrivera-t-il en 2014, après le projet USAID/WINNER, quand l’Association ne recevra plus les semences gratuites pour les revendre à un prix que Paysan qualifie de « ridicule »?
C’est vrai que nous n’aurons plus USAID, mais nous étions déjà des agriculteurs… WINNER n’a pas fait de nous des agriculteurs… Nous trouverons bien le moyen d’approvisionner le magasin pour que les paysans puissent planter ces semences.
L’enquête de AKJ soulève des questions alarmantes, notamment :
• Pourquoi USAID/WINNER gardent-ils leur travail sous couvert? Pourquoi leurs employés ne sont-ils pas autorisés à s’adresser aux médias?
• Pourquoi le ministère a-t-il approuvé l’importation de semences Monsanto et de nouvelles variétés si rapidement, ce qui va directement à l’encontre de la Loi haïtienne, et avant d’avoir mené des tests de germination avec le SNS?
• Outre les 60 TM de semences Monsanto mentionnées dans le rapport dont on a obtenu copie, la suite du « cadeau » a-t-elle été livrée? Quelles autres variétés de maïs ont été introduites en Haïti?
• Combien de nouvelles variétés traitées chimiquement USAID/WINNER et d’autres organisations ont-ils apportées au pays? Où ont-elles été distribuées? Fournit-on de la formation aux paysans? Avec les équipements de protection gratuits? A-t-on pris des précautions en entreposant et en semant ces produits?
• Y a-t-il quelqu’un à USAID/WINNER ou au ministère qui se préoccupe de la dépendance que peuvent créer les BIA en vendant des semences, des engrais et d’autres intrants à 10 pour cent du coût réel pendant cinq années seulement?
NOTE : Après notre visite à l’Association, le 10 mars, AKJ a transmis la liste de questions à Marcelin, en demandant des explications et des réponses. Bien qu’il nous ait promis un « suivi », en date du 30 mars, nous n’avions pas encore reçu de réponses.
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