Série Monsanto en Haïti
Partie 2 – Qu’en disent les experts?
2e de 4 articles
Publié le 30 mars 2011
Au début de l’enquête d’Ayiti Kale Je, ses correspondants ont interrogé certains experts sur le « cadeau » hybride de Monsanto.
Même si Haïti importe des semences potagères hybrides depuis un certain temps, et malgré le fait qu’au moins un des multiplicateur de semences haïtiens produit des semences de maïs hybride, l’entrée des variétés Monsanto était techniquement illégale, aux yeux du droit haïtien et international.
Dans leurs recommandations récemment soumises au Haut-Commissariat des droits de l’homme, à l’ONU, pour l’Examen Périodique Universel de 2011, trois groupes américains œuvrant dans les domaines juridique et environnemental ont dénoncé l’importation de nouvelles variétés, invoquant la Constitution haïtienne, une loi haïtienne de 1986 et les conventions internationales.
Parmi les dangers présentés, l’Environmental Justice Institute for Haiti, le comité Justice environnementale de la National Lawyers Guild et le Lawyers Earthquake Response Network ont expliqué qu’un influx incontrôlé de semences étrangères présente un grand risque d’introduction d’organismes pathogènes, avec leurs vecteurs et ajoutèrent :
Souvent, les semences apportées en Haïti ne sont pas adaptées au sol ni aux conditions climatiques du pays. Dans certains cas, les semences à pollinisation libre des espèces plantées peuvent se croiser avec les variétés indigènes, diluant ainsi le patrimoine génétique des variétés déjà adaptées aux conditions locales.
Les organisations déplorent également l’usage de « grandes quantités de semences hybrides commerciales », qui requièrent « l’achat de nouvelles semences l’année suivante », ainsi que l’usage incontrôlé de dangereux produits chimiques, « qui risquent de contaminer les maigres réserves hydriques et alimentaires haïtiennes.
Louise Sperling, chercheur principal au Centre international d’agriculture tropicale (CIAT), travaillait en Haïti, sur un rapport de 115 pages, Système d'évaluation de la sécurité des semences/Haïti (SSSA), au moment où la controverse Monsanto a éclaté.
Le rapport note que la plupart des paysans ne font pas la distinction entre « graines » et « semences », et qu’ils utilisent comme semences leurs propres graines et celles, conventionnelles, achetées au marché avant chaque saison des semences. [Voir Semer la reconstruction?] Ayiti Kale Je l’a jointe en Tanzanie, en janvier 2011, pour connaître son opinion.
La chercheuse a noté que la plupart des hybrides requièrent davantage d’eau et de meilleurs sols, et que la plupart des terres en Haïti ne conviennent pas au maïs hybride. Bien qu’elle ne s’oppose pas à l’utilisation d’hybrides—là où la formation, l’irrigation et l’engrais sont adéquats, et où les paysans ont les moyens de les remplacer—elle s’est dite inquiète du fait que « les hybrides en question n’ont jamais été sérieusement testées dans les exploitations agricoles » en Haïti.
Elle ajouta : « Et si la technologie échouait? Et si les paysans veulent encore acheter ces semences, seront-elles disponibles, et à quel prix? »
Emmanuel Prophète, chef du Service national semencier (SNS), du ministère de l’Agriculture, confirme que les semences n’ont pas été testées avant la distribution.
Par contre, il défend le « cadeau » de Monsanto, faisant remarquer que « les paysans haïtiens utilisent des hybrides depuis les années cinquante. » Prophète ajoute que les médias locaux et internationaux ont mal informé le public, en « amalgamant » les « OGM » et les « hybrides », et en racontant que les semences de maïs hybride étaient stériles.
« Ce sont des hybrides, mais elles ne sont pas stériles », affirme l’agronome.
Comme plusieurs autres hybrides non stériles, les variétés de maïs perdront leur abondante productivité après la première génération.
Le maïs hybride produit beaucoup plus que le traditionnel. Au moins le double. Naturellement, il est plus exigeant. Il demande plus d’eau, plus d’engrais, mais si vous le semez sur une terre et vous obtenez une récolte au moins deux fois plus abondante…
En Haïti, où l’on doit importer des millions de dollars en nourriture, ça n’a pas de sens de se battre contre ce qui vous aide à augmenter votre production.
Interrogé sur le fait que les nouvelles variétés posaient un risque pour la biodiversité haïtienne, et qu’on importait des semences, des plantes et des animaux sans contrôle, M. Prophète a admis que le ministère n’avait pas le pouvoir de contrôler les frontières.
« Nous sommes censés avoir un système de quarantaine, et toutes les semences devraient être testées pour la germination et l’adaptation avant d’être distribuées », reconnut-il. « Nos n’avons pas le pouvoir de le faire en ce moment. »
Le Mouvement paysan Papaye, l’une des plus importantes associations paysannes du pays, a condamné le « cadeau » et a même organisé une manifestation le 4 juin 2010, où des milliers ont marché et symboliquement brûlé des semences de maïs.
Quelques-uns des milliers d'agriculteurs qui protestaient contre le Monsanto
en juin, 2010. Source: un video de Ansel Herz/Mediahacker
« Nous avons un gouvernement qui accepte n’importe quelle semence, tant qu’elle est gratuite. Peu importe ce que c’est et d’où ça vient », confiait l’agronome Jean-Claude Monero à AKJ. « De plus, les engrais et les insecticides chimiques [sur les semences Monsanto] ont un impact négatif sur le sol et sur l’être humain. »
Emmet Murphy, directeur de l’agence de développement ACDI-VOCA, soutient que ses agronomes ne font pas la promotion des semences potagères et céréalières hybrides, parce que « nous voulons donner aux paysans le pouvoir de multiplier leurs propres semences. C’est ce que vous voulez à long terme. »
Interrogé sur l’introduction des semences hybrides Monsanto en sol haïtien, Francesco Del Re, de la FAO (Organisation pour les Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) des Nations Unies, ne condamne pas directement les semences « cadeau ». Mais il observe que, pour ses distributions semencières d’urgence [voir Semer la reconstruction?], le « Cluster agriculture », dirigé par la FAO, n’a importé que les semences inscrites sur la liste du MARDNR, « pour une raison bien précise : les hybrides doivent être renouvelées chaque année, et les paysans doivent les racheter chaque année. »
Quand on lui a demandé si la FAO avait tenté d’empêcher le ministère ou le programme USAID/WINNER d’importer et de distribuer des semences, M. Del Re a répondu :
Nous les avons conseillés. C’est ce que nous avons fait. Par la suite, naturellement, nous ne sommes pas la police nationale, alors nous ne pouvons pas tout vérifier partout, mais nous avons fait tout ce que nous pouvions…
Je suis d’accord avec la philosophie dont nous avons discuté avec le ministère et que nous avons contribué à mettre en place avec eux. Après, si d’autres partenaires font d’autres choix, c’est leur responsabilité.
Le Père Jean-Yves Urfié, ancien professeur de chimie au petit Séminaire collège Saint-Martial et ancien éditeur de Libète, qui travaille maintenant auprès des fermiers paysans de Frucy, a été l’un des premiers à s’opposer au « cadeau » de Monsanto, même si, au début, il avait pris par erreur les semences pour des OGM.
Un « cadeau », quand on en a « besoin », fait-il remarquer, mais « quand vous distribuez gratuitement des semences, alors que les paysans en vendent, vous dérangez le marché. »
Or, ce qui a le plus dérangé Urfié, qui n’est pas nécessairement contre l’usage d’hybrides dans certains cas, c’est d’avoir permis à Monsanto de s’introduire en Haïti.
Comme de nombreuses personnes, organisations, ou pays, Urfié est contre l’utilisation de tout OGM avant qu’on ait mené des tests plus poussés. Il est également contre les tactiques de marketing agressives de Monsanto.
Les pratiques de Monsanto sont réputées mondialement pour n’avoir aucune morale… Ce qui guide une compagnie c’est de faire de l’argent, bien sûr, ils doivent faire de l’argent, mais ça devrait être la santé humaine, non pas le profit…
Vous ne pouvez servir deux maîtres à la fois, servir Dieu et l’argent.
Urfié aimerait qu’Haïti envoie un « message clair à tous les paysans du monde » en étant le premier pays à « se tenir debout devant Monsanto », et ajoute : « Nous ne voulons pas de Monsanto ici, parce qu’ils ont déjà prouvé qu’ils étaient dangereux. »
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