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Thursday
Aug012013

Des organisations haïtiennes se méfient d’une nouvelle loi minière « attrayante »

Port-au-Prince, HAÏTI, 1 août 2013 – Pendant que le gouvernement haïtien s’empresse de préparer « une loi attrayante qui doit attirer des investisseurs », des organisations communautaires de base se mobilisent et forment des réseaux de résistance à l’exploitation minière.

Dans le nord du pays, un tiers du territoire est déjà livré à des recherches, explorations ou licences d’exploitation à des entreprises étrangères. Près de 2,400 km2 ont été attribués à des firmes haïtiennes servant de paravent à des intérêts étatsuniens et canadiens. Certains estiment que la richesse minière d’Haïti – principalement de l’or, du cuivre et de l’argent – pourrait valoir autant que 20 milliards de $US.

 

La livraison de permis à huis clos sans contrôle indépendant ou communautaire a soulevé la colère de plusieurs personnes en Haïti qui craignent que le gouvernement soit en train d’ouvrir le pays à un pillage systématique.           

Cependant, le chef de l'agence minière gouvernementale ne semble pas préoccupé pour autant. Bien au contraire il a dit à Ayiti Kale Je (AKJ) qu’Haïti doit se faire plus « attrayante » à de potentiels investisseurs.

« Nous avons besoin d’une loi minière qui soit attrayante. Une loi minière qui attire les investisseurs. C’est ce dont nous avons besoin », affirme Ludner Remarais, directeur du Bureau des mines et de l’énergie (BME), dans une entrevue à AKJ.

La loi actuelle est dépassée, d'après Remarais.

La « ruée vers l'or » en Haïti est en cours depuis ces cinq dernières années ou à peu près, puisque le prix de l'or et d'autres minéraux a augmenté. Jusqu'à l'année dernière, le gouvernement et les entreprises concluent des transactions à huis clos.

Après qu’une enquête ait révélé que 15 pour cent du pays étaient sous contrat, le 20 février 2013, le Sénat haïtien a adopté une résolution demandant que cessent toutes les activités afin de permettre un débat national et de procéder à des analyses de tous les contrats. Selon le BME, toutes les activités minières sont actuellement suspendues

« La commission parlementaire a voté une résolution », note Remarais. « Nous respectons scrupuleusement la décision », mais, a-t-il ajouté, la résolution n'annule pas les droits déjà acquis.

Mobilisations dans les régions riches en or

Les organisations paysannes, des droits humains, de la souveraineté alimentaire et de l'environnement sont préoccupées par les effets désastreux que l'industrie minière pourrait avoir sur la qualité de l'eau, les terres agricoles et sur les régions concernées en général. 

Tèt Kole Ti Peyizan Ayisyen (« Petits paysans travaillant ensemble »), les Défenseurs des opprimés (DOP), le Mouvement démocratique populaire, la Plateforme des organisations de défense des Droits humains, la Plateforme haïtienne de Plaidoyer pour un développement alternatif, et l’organisation ouvrière Batay Ouvriye ont formé le Collectif contre l'Exploitation Minière. Le réseau aide les associations locales au moyen de séances d'information et de sensibilisation.

Le 5 juillet, plus de 200 agriculteurs de la région autour du gisement de Grand Bois – à environ 11 kilomètres au sud de Limbé, dans le département du Nord – se sont réunis à Machabiel pour discuter de l'exploitation minière et de leur avenir. Dans une église et sous chaleur étouffante, ils ont discuté de leurs tracas pendant trois heures.

Les participants à la réunion du 5 juillet 2013 discutent de leur avenir dans
une église près de Grand Bois
. Source : AKJ / Lafontaine Orvild

« Quand quelqu'un parle d'exploitation minière, notre histoire nous fait penser à l'esclavage, l’accaparement de nos terres agricoles », dit Willy Pierre, professeur en sciences sociales d'une école toute proche. « Nous risquons de perdre nos champs fertiles. Nous serons chassés de nos terres. irons-nous vivre? »

Le gisement de Grand Bois est riche en or et en cuivre, selon les tests effectués par la société minière canadienne Eurasian Minerals. Eurasien détient la licence délivrée par le BME à sa filiale haïtienne, la Société Minière Citadelle SA, qui travaille avec la firme haïtienne Ayiti Gold.

Une carte du projet de Grand Bois (2011). Source: Eurasian

En juin, des inconnus ont fait irruption dans le bureau de Ayiti Gold qu’ils ont saccagé, à Camp Coq, près du gisement.

Lors de la réunion du 5 juillet dernier, beaucoup de gens ont dit qu'ils étaient nerveux. La perspective de mines d'or à ciel ouvert leur a rappelé les centaines de milliers, ou peut-être des millions de personnes autochtones mortes dans les mines d'or espagnoles ou de maladies apportées par les Espagnols au 16e siècle.

« L’exploitation minière devrait être une leçon pour chacun de nous. Ce ne sont pas seulement nous autres qui sommes autour du gisement qui périrons, c’est le pays tout entier qui sera englouti ! », prévient Jean Vilmé, agriculteur de Bogé, une habitation de Grand Bois.

Emmanuel Dalès, membre de Batay Ouvriye fustige : « Prenons l’engagement de dire ‘non à l’exploitation minière ! Oui à la vie !’ ».

Deux semaines plus tôt, 50 membres de diverses organisations locales et nationales se sont réunis à Jean Rabel, une ville appauvrie du département du Nord-Ouest où les infrastructures routières sont déficientes, et où les hôpitaux et systèmes d’adduction d’eau potable sont inexistants. Ils ont regardé une vidéo sur l’exploitation minière en Haïti et après avoir soulevé un débat autour du sujet, ils ont discuté des étapes à venir.

Plus tôt ce mois, 60 représentants des associations du Collectif contre l’exploitation minière ont organisé à Montrouis, au nord-ouest de Port-au-Prince, une journée de réflexion afin de planifier les stratégies principales de leur mobilisation. Les préoccupent particulièrement la protection des nappes phréatiques, la souveraineté alimentaire, la protection des terres agricoles, la biodiversité, la santé et les titres fonciers.

Clébert Duval, membre de Tèt Kole de Port-de-Paix, a fait remarquer que l'Etat qui travaille en faveur de son peuple pourrait utiliser les ressources minérales en vue de « changer les conditions de vie des masses populaires, les paysans, les personnes vulnérables, et pourrait donner à ce pays un nouveau visage. »   

Toutefois, il ajoute : « Si l'Etat est un prédateur qui travaille pour les multinationales, pour le système capitaliste qui, depuis qu'il est en crise,  accapare les richesses des pays pauvres pour contrer la crise, alors l'Etat encouragera toujours l'exploitation minière. Mais tout l'argent qui devrait aller au peuple ira aux entreprises étrangères, sauf quelques miettes pour les gars locaux qui servent d'intermédiaires. Les sociétés minières auront pour elles toutes les richesses, tout comme ils ont fait dans le passé. »

Beaucoup de personnes ont rejeté les arguments des fonctionnaires à savoir que le secteur minier est important pour le développement et l'économie du pays.  

« En 2012, certaines compagnies ont fait de la prospection. Ils ont pris des échantillons de roches et de sol. Chaque travailleur embauché était payé entre 200 et 250 gourdes (US $ 4,65 - US $ 5.81) par jour », rapporte Vernicia Phillus, membre de la coordination féminine de Tèt Kole à Baie de Henne.

« Nous autres à Baie de Henne sommes contre toute exploitation éventuelle parce que nous n'allons pas en profiter du tout. Elle aura des répercussions néfastes qui détruiront nos terres fertiles, nos arbres fruitiers et elle assèchera nos nappes phréatiques ». 

Le Gouvernement et la Banque mondiale organisent aussi   

Pour accomplir ce que le directeur du BME a appelé « des bonds en avant » avec son plan visant à encourager les entreprises minières étrangères, le gouvernement haïtien ainsi que la Banque mondiale ont organisé un « Forum sur les mines » le 3 et 4 juin 2013 qui avait pour objectif de « développer le secteur minier d'une manière qui le rende un moteur pour le décollage économique du pays ». Certains médias haïtiens ont louangé l'événement.

L’un de ses principaux objectifs était d'esquisser les contours d'un nouveau code minier pour le pays, même si, en mai, la banque avait annoncé qu'elle travaillait déjà sur une nouvelle formulation de la loi.

La couverture médiatique haïtienne a négligé cette question de calendrier, et aussi n’a pas noté que le fait que la participation de la Banque mondiale à cette tâche semble relever d’un conflit d'intérêt.

En 2010, la Société financière internationale (SFI), une branche de la Banque, a investi environ 5 millions $US dans les opérations de Eurasian Minerals en Haïti, recevant en échange des actions de la société Eurasian. Ainsi, la Banque contribue à écrire une loi qui va la réglementer et protéger Haïti.

La Banque mondiale est souvent critiquée par des organisations comme Mining Watch Canada, Earthworks et autres pour son laxisme en ce qui concerne la protection des pays pauvres, et pour son rôle dans la « continuation du colonialisme » en Afrique, en Asie et en Amérique Latine à travers des prêts de sommes importantes aux sociétés minières.

En mars de cette année, le représentant du gouvernement étatsunien auprès de la Banque mondiale s’est abstenu lors d'un veto d’approbation d’un prêt de 12 milliards de $US pour une opération d'exploitation minière dans le désert de Gobi, invoquant des préoccupations quant aux impacts négatifs potentiels sur l'environnement. Les prêts ont été approuvés de toute façon, selon Inter Press Service.

Au cours du forum des 3 et 4 juin, des responsables haïtiens ont dit que la nouvelle loi minière devrait « permettre la transparence des contrats. » Et, selon l'Associated Press, lors de cette conférence, le Premier Ministre Laurent Lamothe a déclaré que son gouvernement travaillait avec des « experts compétents qui ont les intérêts nationaux à cœur. »

Mais, la Banque est actionnaire dans Eurasian. En plus, la majorité des intervenants à la conférence provenaient de compagnies et institutions étrangères. Les parlementaires, les élus officiels locaux, les géologues et des chercheurs indépendants, les représentants des populations des zones concernées et les organisations communautaires de base n’ont pu faire entendre leurs voix.

La mine à ciel ouvert Yanacocha (d’environ 250 kilomètres carrés) au Pérou. La SFI
de la Banque mondiale est l’un des investisseurs.
Source : Elbuenminero

Le BME avance malgré le fait que ce « forum » ressemblait plus à une réunion d’un « club d'initiés ». 

« Nous avons une loi minière qui nous empêche de faire un bond en avant », affirme Remarais sans hésitation, quelques jours après la rencontre. « Le gouvernement haïtien à travers le forum a pris la décision de refondre la loi minière. C’est ce qui se fait actuellement ».

(Il faut se rappeler que la Banque a déjà annoncé qu'elle avait commencé à récrire la loi avant même le déroulement de la conférence.)

Interrogé à propos d’une éventuelle loi qui sera « attrayante » et capable « d’attirer des investisseurs », le directeur exécutif de DOP, membre du Collectif, se dit préoccupé.

« Une loi minière ‘attrayante’ ouvrira le pays au business », écrit l’avocat Patrice Flovilus dans un courriel le 14 juillet 2013, faisant référence au slogan du gouvernement « Haïti - Open for Business » (« Haïti Ouverte aux affaires »).

« Business, sans penser aux effets délétères sur la vie communautaire, sur l’environnement qui se détériore déjà à un rythme inquiétant », ajoute-t-il.

Dans une note le 22 juillet 2013, le Collectif a écrit ce qui suit: « Nous voulons une véritable loi nationale et des conventions internationales qui protègent la vie, l’eau, la terre, et l’environnement, et qui bannissent l’exploitation des mines qui apportera avec elle la pollution, la destruction, la contamination et plus de faim. »

Voir aussi Dossier #18 et Dossier #27

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