Le cauchemar des « maisons de rêve »
Cité Soleil, Haiti, 14 déc. 2011 – Pendant que plus d’un million de déplacés croupissaient sous les tentes après le cataclysme du 12 janvier 2010, de nouvelles maisons construites pour 128 familles terminées en mai 2010, sont restées vides durant 15 mois.
Aujourd’hui, la majorité des occupants de ces logements sociaux sont des illégaux, qui les ont envahi en brisant les fermetures et les portes.
« Ces maisons sont terminées depuis près de deux ans, mais elles n’ont jamais été livrées », a déclaré Jean Robert Charles, un des maires adjoints de Cité Soleil, à Ayiti Kale Je (AKJ).
Les 128 appartements – « maisons de rêve » par rapport aux maisons de la plupart des haïtiens – sont situées à Zoranje localité de Cité Soleil au nord-est de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Avec deux chambres à coucher, une salle de bain, un salon, salle à manger et cuisine, en plus d’une petite cour, elles représentent un don du gouvernement Vénézuélien.
Un aperçu des quelques-une des « maisons de rêve ». Photo: James Alexis
Le projet aurait couté US$ 4,9 millions de dollars, d’après un journal cubain qui écrivait en 2010 au sujet de cette donation. Ces maisons font parties d’un projet de 500 maisons promises en mars 2007 par le Président Vénézuélien Hugo Chavez lors de sa visite en Haïti. La construction a été confiée à une société de construction mixte (Cubano-Vénézuélienne) liée à l’Alternative Bolivarienne pour les peuples des Amériques (ALBA), selon le même journal.
Venezuela est un des plus grands partenaires d’Haïti qui, entre autres, lui vend du pétrole à des prix préférentiels. Après le tremblement de terre, le Venezuela est le pays qui a promis le plus de fonds à Haïti, soit près de 1,3 milliard $US, un montant dépassant les promesses faites même par les États-Unis.
Cependant, parait-il que le projet de logements sociaux à Zoranje demeure un embarras pour le gouvernement. A plusieurs reprises AKJ a essayé d’obtenir une entrevue avec l’ambassade du Venezuela à Port-au-Prince, ce qui s’est toujours soldé par un échec, soit à cause de promesses non tenues ou de rendez-vous ratés.
Ceci s’explique peut-être par le fait que ce n’est qu’au début du mois de septembre 2011, soit 18 mois après que le gouvernement ait remis les premières 88 maisons au gouvernement de René Préval, que toutes les maisons ont été occupées. Par ailleurs, hormis les 42 familles qui sont les bénéficiaires légaux, choisies par le Venezuela, la grande partie des appartements – soit au moins 50 – sont occupés par des envahisseurs.
Manque de tranquilité dans les « maisons de merveille »
Quarante-deux des 128 unités de logement ont été attribuées par l’Ambassadeur du Venezuela en Haïti. Les bénéficiaires ont en main des papiers de livraison datés du 5 septembre 2011, et tous se présentent comme des victimes du séisme. Ils se disent de trois groupes distincts : les gens œuvrant pour le compte de l’ambassade; les personnes recommandées par une organisation de femmes; enfin, les familles recommandées par une école congréganiste.
« Venezuela a octroyé [des maisons] à 42 personnes qui sont dans le besoin de logement », explique Dolciné Marie Joseph, coordonnatrice d’une organisation de femmes qui a déménagé avec ses enfants.
La maison de Marie Joseph. Elle a préféré ne pas poser pour une photo. Photo: James Alexis
En dépit du caractère généreux de cette donation, et les avantages évident de sa nouvelle maison, la vie quotidienne est plutôt amère, estime Marie Joseph, parce que des douzaines des familles ont envahi le reste des appartements.
« Il n’y a pas eu de coup d’État dans le pays. Je vois cela d’un mauvais œil. C’est quelque chose de mauvais que les gens ont fait, en occupant les maisons sans autorisation », s’indigne-t-elle.
D’après la coordonnatrice, on compte des voleurs parmi les envahisseurs.
« Ces gens-la ont envahi les maisons et emporté la pompe [à eau]… [Cependant, ils n’ont pas pu] emporter le moteur puisque celui-ci est souterrain», ajoute-elle. Mais, sans la pompe, il est impossible de faire monter l’eau dans les réservoirs déposés sur le toit des maisons.
Une des salles de pompe. Photo: James Alexis
Les journalistes de AKJ ont constaté entre autres que de nombreux matériels et/ou objets dont des miroirs et des serrures ont été emportés, des ports endommagées. D’après le magistrat Charles de Cité Soleil, « mêmes des toilettes ont été emportées».
Il n’est donc pas étonnant qu’une tension latente existe entre les deux groupes.
Les envahisseurs qui disent fatiguer de « vivre sous les tentes », ont racontent, qu’ils ne vont pas lâcher prise face aux menaces des autorités pour les déloger. Les envahisseurs ont confié à AKJ que des policiers ont tenté de les déguerpir de force à plus d’une reprise, mais ils sont retournés dans les maisons et y vivent encore.
« J’ai deux fils qui sont morts lors du séisme du 12 janvier, je n’ai pas de maison où habiter. Le maire croit que nous ne sommes pas dignes d’habiter ces maisons », déclare Martine Janvier, une dame du troisième âge.
Martine Janvier. Photo: AKJ
Au milieu d’une foule en liesse composée pour la plupart de femmes, une autre, Jésula Aristène, s’interroge, en brandissant une copie de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « L’Etat haïtien ne nous doit-il pas des logements sociaux ? »
Désaccord et désorganisation
Les 128 appartements parasismiques – de couleurs crème, rose et verte – sont restés pendant longtemps inhabités à cause des dissensions entre les gouvernements haïtien et vénézuélien, d’après plusieurs autorités interviewées par AKJ.
Les deux parties du partenariat – donataire et récipiendaire – n’ont pas pu se mettre d’accord sur les éventuels bénéficiaires du projet et le mode de gestion, soit le « qui » et le « comment ».
Plusieurs personnalités contactées par AKJ ont refusé de parler ouvertement et elles ignoraient toutes qui était le responsable du dossier au sein du gouvernement de René Préval (2005-2011). Cependant, elles ont unaniment racontées les mêmes histoires, faisant état de désaccord et de manque de coordination dans le projet.
Une personnalité qui travaillait dans le secteur de logement au sein de la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH) a souligné, dans une correspondance en septembre dernier, que : « le gouvernement vénézuélien et le gouvernement haïtien ne se sont pas mis d’accord sur la façon de choisir les bénéficiaires ».
D’après cette même source, le Venezuela voulait remettre les logements à des familles habitants dans le bidonville de Cité Soleil, une idée que le gouvernement haïtien ne partageait pas.
« Le gouvernement haïtien argüait de l’inexistence de services publics et d’emploi, rendant la zone non appropriée aux gens pauvres» poursuit la même source.
Questionné autour de ces logements, un membre du gouvernement de Michel Martelly, sollicitant aussi l’anonymat, a dit : « Nous ignorons pourquoi l’administration antérieure ne les ont pas mis à la disposition de la population. Nous voulons les intégrer dans les maisons qui seront disponibles dans le cadre du projet 16/6 ».
Le 16/6 est un projet visant à réhabiliter 16 quartiers de Port-au-Prince, et de faciliter le retour dans les quartiers d’origine de 5,000 familles actuellement vivant dans six camps. Le projet coûte 78 millions $US.
Selon le gouvernement de Martelly, le « Venezuela a réservé et livré 42 maisons à des bénéficiaires qu’il a lui-même identifié. A part ces 42 familles, tous les autres occupants sont illégaux ».
Elonge Othélot, directeur général de l’Entreprise Publique de Promotion de Logements Sociaux (EPPLS) – la seule agence publique chargée de construire et de gérer des logements – n’est pas en charge des maisons de Venezuela, et n’a pas été impliquée dans les discussions entre autorités haïtiennes et vénézuéliennes. Contacté par AKJ, il dit être au courant que « le projet est terminé », mais qu’il y a confusion.
« Peut-être que les rôles de gestion à venir ne sont pas encore définis ?», s’interrogeait-il.
Othélot disait « avoir approché le 1er Secrétaire de l’Ambassade du Venezuela », avec lequel il avait abordé le sujet. « Mais, il ne nous a pas contacté pour s’assurer de sa gestion », a-t-il poursuivi.
« C’est aux responsables Vénézuéliens de savoir comment ils vont le faire », a-t-il conclu.
Le magistrat Charles va beaucoup plus loin. Au cours d’entrevues avec AKJ, il n’y va pas par quatre chemins pour fustiger le comportement de la Représentation diplomatique Vénézuélienne en Haïti dans la gestion du dossier, qu’il qualifie de « désordre ».
Des responsables vénézuéliens ont refusé de parler sur le sujet, malgré plusieurs tentatives faites par les journalistes de AKJ.
Quel est l’avenir du projet et des envahisseurs?
Le membre du gouvernement Martelly dit que, pour le moment, « le projet est sous la gestion de la municipalité de Cité Soleil » mais il mentionne qu’ils sont au niveau « du processus d’établissement d’une plateforme de gestion qui aura à sa tête le [Colonel Jacques] Azémar », un ancien colonel de l’armée étasunienne d’origine haïtienne.
« Nous sommes en discussion actuellement avec le bureau du maire et d’autres entités gouvernementales comme l’EPPLS afin de trouver une manière d’intégrer les différentes communautés » at Zoranje, ajout la source.
Cependant, Gustave Benoit, un autre magistrat adjoint de Cité Soleil contacté par AKJ le 9 décembre, dit qu’il n’est pas au courant de l’implication de Col. Azémar. Au contraire, il dit que la mairie travaille de concert avec la Ministère à la condition feminine et aux droits des femmes pour décider sur le statut des envahisseurs.
Un homme devant sa nouvelle maison. Photo: James Alexis.
A proximité de ce projet prennent place d’autres installations. Il y a le Village de la Renaissance, une complèxe d’appartements construit par le gouvernement de Jean-Bertrand Aristide, qui est autogéré selon des témoignages recueillis sur place; un 3ème projet de logements le « 400 nan 100 », prévoit l’installation de plus de 400 maisons construites avec le financement de la Banque Interaméricaine du Développement.
EPPLS est censé responsable de construire et gérer les projets domiciliaires, mais après le 12 janvier, semble-t-il, elle est en dehors de la scène de la reconstruction. Elle n’est impliqué dans aucun des grands projets de logements dans lesquels cette agence étatique – misérablement logée dans un petit bureau délabré – est impliquée.
« EPPLS dispose d’un budget insuffisant pour sa tâche» explique Othélot.
Le stationnement et le bureau d'EPPLS. Photo: AKJ
Les carcasses rouillées de voitures et de camions dans le stationnement en témoignent. Pour cette raison – ou peut-être d’autres? – la plupart des projets qu’elle a fait dans le passé, dont le Village Renaissance, ont échappé à son contrôle. Les résidents paient rarement le loyer à l’État et dans plusieurs cas, l’EPPLS ne sait même pas qui occupe les logements.
Pour le moment, le projet de logements de Venezuela suit apparemment la même ligne.
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