Plan de la DINEPA – De l’urgence à l’autosuffisance?
Partout au pays, le gouvernement et les agences humanitaires mènent des campagnes d’éducation publique, distribuent des grandes quantités de chlore, en pastilles, en poudre ou en solution, et embauchent dans les centres de traitement du choléra.
Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon demande 164M$ pour combattre l'épidémie de choléra.
Les agences humanitaires tentent de fournir davantage d’eau de meilleure qualité aux 1300 camps de réfugiés du pays et dans les zones où les habitants puisent à même les cours d’eau.
Dans la capitale, la DINEPA et ses organisations partenaires, l’ONU et les ONG (organisations non gouvernementales) [1], mobiliseront une flotte de 32 camions vidangeurs des fosses de latrines autour des camps et des centres de traitement du choléra. La DINEPA et ses partenaires construisent au nord de la capitale un nouveau site de décharge des excréments – avec une fosse spécialement isolée à l’argile.
Or, même si le choléra était endigué, voire éliminé, une autre maladie hydrique pourrait facilement se propager à la grandeur du pays si rien d’autre n’est planifié à plus long terme.
Réformes avant le 12 janvier
Pendant plus d’une décennie, des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux ont travaillé à diverses réformes du secteur de l’eau et de l’assainissement en Haïti. En 2009, la Parlement a finalement fait passer une loi pour créer une nouvelle agence nationale de l’eau" la DINEPA.
Cette agence, rattachée au Ministère des Travaux Publics, des Transports et des Communications, est responsable d’assurer à tous les Haïtiens la salubrité de l’eau et des installations sanitaires, dans les zones urbaines et rurales, en développant les services, en réglementant le secteur et en contrôlant ses acteurs – privés, publics, régionaux et locaux.
« Sa structure est comme une chaîne qui part de la capitale et qui passe par toutes les régions », affirmait Pierre-Yves Rochat, responsable des programmes ruraux de la DINEPA, dans une entrevue accordée à Ayiti Kale Je.
Avant le séisme, la DINEPA travaillait à en implanter les structures régionales, à présenter des demandes de subvention et de prêt à la Banque interaméricaine de développement (BID) et autres bailleurs de fonds, et planifiait l’harmonisation et l’amélioration de l’eau et de l’assainissement.
Reconstruction, choléra et nouvelle stratégie nationale
Le séisme du 12 janvier a interrompu le développement de cette chaîne, évidemment.
Les mesures pour l’eau et l’assainissement ont été planifiés après le séisme dans le Plan d’Action pour Haïti, qui vise une couverture en eau potable de 60 % dans la capitale et de 73 % dans le reste du pays ; une couverture en assainissement de 58 % dans la capitale et de 50 % dans le reste du pays. Son coût est de 160 M $US.
Mais depuis l’éclosion du choléra, les plans de la DINEPA ont été bonifiés.
La nouvelle Stratégie Nationale de Réponses à l’Épidémie de Choléra propose une stratégie de 14 mois pour réagir à l’urgence immédiate et augmenter l´efficacité et la durabilité des interventions, à travers des actions coordonnées dans le secteur de l’eau et de l’assainissement.
Selon le bureau de l’Envoyé spécial de l’ONU, les donateurs internationaux – tous les fonds sont donnés et non prêtés – se sont engagés à la hauteur de 273 899 618 $US, dont la plupart sont déjà déboursés. (Ces sommes englobent certains projets d’avant le 12 janvier.)
La stratégie comporte trois phases : urgence, post-urgence et développement, et vise à :
- assurer que 6,5 millions de personnes aient accès, à un prix accessible, à des moyens de traiter l’eau, comme les pastilles de chlore;
- assurer que les 600 à 700 systèmes de traitement des eaux, urbains et ruraux, soient chlorés de façon adéquate et systématique;
- construire 150 puits et en mettre 500 autres aux normes;
- analyser l’eau de tous les puits du pays et organiser une chloration systématique, au besoin;
- établir des règles à l’intention des vendeurs d’eau potable par osmose inverse, et établir un système de traitement périodique de ces eaux;
- faire campagne pour obliger les familles vivant dans les zones affectées par le choléra à construire des latrines (environ 500 000) avec l’aide du gouvernement;
- établir quatre « centres de traitement des exécras » – en dehors de la capitale et dans trois autres grandes villes, mais idéalement en construire dix, soit un par département.
« La stratégie d’aujourd’hui est aussi la stratégie de demain », explique M. Rochat. « Nous devons travailler très fort et nous montrer très ambitieux, car le choléra qui ravage le pays est un signe que les choses ne peuvent rester ainsi. »
Site DINEPA montre une des nombreuses affiches de la campagne publique de santé.
La DINEPA travaille aussi à harmoniser et à contrôler tous les acteurs du secteur de l’eau et de l’assainissement, notamment les ONG, en leur faisant signer un accord-cadre les engageant à se limiter aux projets qui s'inscrivent dans la stratégie nationale.
« Nous avons de nombreuses ONG dans le secteur de l’eau. Nous en avions beaucoup avant le 12 janvier, et nous en avons encore plus aujourd’hui… Toutes doivent travailler ensemble, avec une même stratégie, une même approche, et suivre des directives de la DINEPA », suggère-t-il. « C’est l’objectif du protocole, afin que toutes suivent les mêmes règles. »
La DINEPA joue également un rôle de leader dans le Cluster WASH (le Cluster sur l'Eau, l'assainissement et l'hygiène), un mécanisme regroupant l’État et les agences multilatérales et humanitaires. [Voir le prédécent article de Ayiti Kale Jesur le systèm Cluster.] Contrairement aux autres clusters (abri, coordination des camps), le WASH tient des réunions uniquement en français, qui sont présidées ou co-présidées par l’instance de l’État (la DINEPA), et publie presque exclusivement en français.
En plus de fournir les lignes directrices aux ONG, la DINEPA supervise et régit le secteur privé. Car si, selon la Constitution haïtienne (Article 36.5), les sources, les rivières et les ruisseaux « font partie du domaine public de l’État », M. Rochat explique que la DINEPA ne peut à elle seule assurer à tous les Haïtiens un accès à de l’eau potable et des installations sanitaires.
« Nous avons un secteur privé très actif dans l’eau et l’assainissement, et c’est heureux car le secteur public ne pourrait fournir tous les services nécessaires, » note-t-il.
Mais l’idée de confier des services vitaux à des entreprises privées ou semi-privées (ONG) est chose risquée.
« L’eau est un bien public. Lorsqu’on commence à lier le secteur privé au secteur public, on s’avance en terrain glissant », nous admettait le docteur Maxi Raymondville, du centre de traitement de choléra de Mirebalais. « Ce qu’il faut c’est un État fort, voire un code d’éthique de l’État, pour les diriger et coordonner leurs efforts. »
M. Rochat croit que la DINEPA est à la hauteur.
« La DINEAP élaborera des règles à suivre pour tous les acteurs. Si quelqu’un ne veut pas s’y soumettre, il faudra trouver une autre entreprise » assure-t-il.
Le 7 décembre, la DINEPA a commencé: L'agence a annoncé une directive afin que tous les camions-citernes de la capitale chlorent l’eau, et que, avec l’aide des ONG, les citernes soient régulièrement vérifiées. (Une fois que la directive et la surveillance de la chloration des camions seront implantées dans la capitale, elles seront mises à l’essai dans d’autres villes.)
Une autre directive est en développement et porte sur les excréments – où les enfouir, comment protéger les employés, comment désinfecter les camions, etc.
Pour l’instant, ces documents ne sont que des « directives » et non des règlements ou des lois qu’on doit respecter au risque de recevoir une amende.
« Ils n’entraînent aucune ‘contrainte’. Nous devrons les mettre en place, mais nous devons aussi avoir une façon de les faire respecter », dit M. Rochat.
Selon lui, l’objectif des réformes est que toutes les installations sanitaires et de traitement de l’eau deviennent « autonomes, y compris sur le plan financier ».
« Les gens devront payer pour tous les services – l’eau comme l’assainissement – mais ce sera à la mesure de leurs moyens. Nous avons un principe d’équité. Et le prix doit être juste », conclut-il.
La direction et les directives de la DINEPA présentent des risques et dangers. Mais, il y a des signes encourageants, aussi. Mais la nouvelle agence, pourra-t-elle coordonner les acteurs privés, publics, locaux, nationaux, internationaux et les bailleurs de fonds avec les besoins des utilisateurs – le peuple haïtien – et leur garantir une eau potable et des services sanitaires à un prix accessible?
Est-il possible pour l'administration publique, souvent faible et inefficace, et parfois corrompus, de vraiment réglementer le secteur privé dans l'intérêt public?
Puis les ONG être mis en ligne, et fait de suivre une stratégie nationale?
Le temps, et le nombre de victimes du choléra, le diront.
Lire : Excréments
Lire : Le problème de l'eau
Retour à l’introduction et à la vidéo
Notes:
1. Ce terme est impropre puisqu’il définit les organisation par la négative, et parce que plusieurs des très grandes ONG reçoivent une bonne part, sinon la totalité, de leur financement de sources gouvernementales.