Quel plan pour le (re-)logement?
An article d'AlterPresse, une des partenaires de Ayiti Kale Je, écrit avec la participation d'Ayiti Kale Je
P-au-P., 12 janv. 2011 [AlterPresse] – Un an après le violent tremblement de terre du 12 janvier 2010, un « cadre de travail pour le retour des déplacés » existe et les autorités ont commencé à travailler sur la problématique du relogement.
AlterPresse a obtenu une copie du document, qui jusqu’a présent n’a pas l’approbation officielle du gouvernement, mais qui est – de facto – le cadre de l’action des dirigeants, d’après Priscilla Phelps, Conseillère Principale pour le Logement et les Quartiers de la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH).
[Note - Le document n'est pas du très différent du projet obtenu par Ayiti Kale Je en Octobre. Voir Dossier 1 pour une discussion complète.]
Couverture des Maisons de communautés fortes et sécuritaires:
Un guide pour la reconstruction après une catastrophe naturelle
par Priscilla Phelps et d'autres auteurs
“Le document est conçu pour montrer la voie de l’avenir,” selon Phelps, auteur du livre « Safer Homes, Stronger Communities: A Handbook for Reconstructing After Natural Disasters » pour la Banque mondiale.
Intitulé Cadre de travail pour le retour des déplacés dans leurs quartiers et de la reconstruction des logements, version 3 (titre original Neighborhood Return and Housing Reconstruction Framework, version 3) le document prévoit des actions autour de 4 piliers :
1. Reconstruire les quartiers sûrs et permettre aux familles de retourner à la maison,
2. Déplacer les populations des quartiers non sécuritaires vers de nouveaux logements sûrs,
3. Aider les familles vivant hors de la région du tremblement de terre et qui ont accueilli des réfugiés qui vivent avec eux,
4. Fermer les camps.
Le couverture du Cadre de travail... qui, selon Phelps, a été lu et commenté par
le Conseil interministériel des ministres qui est censé superviser la question du logement. Les membres sont les ministres des Travaux publics, des Affaires
sociales, de la Planification, des Finances et de l'Intérieur.
Selon Phelps et les dirigeants du “Shelter Cluster”, qui regroupe les 200 ONG et agences travaillant sur le problème du logement, le plan est bon, il en résultera des quartiers mieux planifiés avec plus de services, et - s’il y a du financement – c’est tout-à-fait faisable.
La question qui n’est pas adressée par le plan est celle des locataires, soit environ 168.810 familles qui n'étaient pas propriétaires le 12 Janvier, selon une étude (PDF) de l'Organisation internationale pour la Migration (OIM).
“À quelques exceptions près, la reconstruction ne va pas transformer les locataires en propriétaires,” admet Phelps.
Pour les locataires, la seule solution sera donc... la location.
Et entre la situation actuelle – où 93.000 maisons nécessitent doivent être réparées et 90.000 autres reconstruites – et la perspective de relogement à travers la reconstruction, il existe des obstacles et défis qui semblent plus lourds que les 10 millions de mètres cubes de décombres (estimation optimiste) qui étouffent encore la capitale.
OIM et les haïtiens qui trouvent leurs propre solutions
Au lendemain du 12 janvier, 1,5 millions de personnes vivaient dans 1400 camps spontanés. Un recensement réalisé entre novembre 2010 et janvier 2011 par l’Organisation Internationale de la Migration (OIM) indique qu’il y a actuellement 810 000 personnes dans 1 150 camps.
D’après l’OIM, beaucoup d’Haïtiens « trouvent leurs propre solutions » : revenir dans les provinces, trouver les moyens de réparer leurs maisons, trouver des fonds pour la location d’un logement ou s’installer avec des parents ou des amis.
Mais il y a eu également beaucoup d’expulsions forcées, soit jusqu’à 29% des camps ont fermé par la force, et il est possible que les gens qui étaient dans ces camps aient simplement déplacé leurs tentes vers d’autres quartiers.
A 8 mois du terme de son mandat, la CIRH affiche une volonté de mettre les bouchées doubles qui trahit le fait que très peu a pu être réalisé sur la question de logement jusqu’ici.
Parallèlement au Cadre de travail…, la CIRH a élaboré un Plan Stratégique pour le restant de son mandat qui compte réduire la population dans les camps de 400 000 personnes d’ici octobre 2011. [Télécharger le Plan ici.]
Distribué aux membres de la commission en décembre dernier, le Plan Stratégique prévoit le retour des propriétaires dans leurs quartiers et la construction de nouveaux villages. Il prévoit également la démolition de 27.000 maisons marquées rouge et la réparation de 24.000 autres marquées jaune. 5.500 unités d’habitations transitoires ou permanentes seront construites dans de nouveaux sites et 32.000 abris transitoires ou “T-Shelters” devraient également être fournis cette année.
Il faudra 350 millions de dollars pour réaliser ces différents projets qui ne couvriront qu’une partie des besoins – ceux qui sont possibles durant l’année 2011. La commission dispose à ce jour de 174 millions de dollars pour le logement, mais une grande partie de cet argent concerne les abris transitoires.
Frustration
Jean-Christophe Adrian, le directeur de ONU-HABITAT qui gère le Shelter Cluster, laisse percer sa frustration sur la question des abris transitoires, car pour lui, la solution est la réparation et la reconstruction des maisons. Cependant, « il a fallu un an aux ONG pour commencer la réparation des maisons. »
La zone de Turgeau. Photo: Haïti Demain, CIAT
Bien que les propriétaires qui ont les moyens ont fait leurs propres réparations, à ce jour, seulement 2.074 maisons dans l'ensemble du pays ont été réparés avec l'aide des 200 ONG dans le Shelter Cluster.
Le statut des sinistrés (propriétaire ou locataire), le ramassage des débris et le défi foncier sont avancés comme principales causes de la lenteur du processus de relogement.
« L’obstacle majeur qui a été identifié et auquel tout le monde reste confronté c’est la question foncière… parce que c’est comme ça que ça fonctionne, on ne donne un abri transitoire qu’à des gens qui sont propriétaires de leur terrain ou qui ont un accord avec le propriétaire du terrain », explique Jean-Christophe Adrian.
Camps et abris “transitoires” en permanence?
Au départ l’idée était de reloger dans des abris transitoires, ou « T-Shelter », avant la reconstruction de logements permanents. Les 200 ONG travaillant dans le domaine du logement ont rapidement recueilli 100 millions de dollars pour construire des petites maisons qui sont censés durer trois ans. Le plan était de fournir 135 000 T-Shelters en 18 mois.
Cependant, aujourd’hui, un an après la catastrophe, seulement 31.600 sont effectivement terminés.
Selon Valentina Evangelisti, autre responsable du Shelter Cluster, ce retard est dû principalement à l’indisponibilité des terrains et à la lenteur du déblaiement.
Adrian pense que les « T-Shelters » doivent être construits dans les camps, même si ces derniers sont sur une propriété privée, car “les gens… ne vont pas bouger de la où ils sont avant un an, deux ans ou trois ans.”
Adrian pense que les ONG doivent considérer l’option de donner aux gens un « T-Shelter » même s’ils sont « dans un endroit où ils n’ont pas le droit d’être. »
L'un des nombreux types de T-Shelters. Photo: CHF International
En attendant, les travaux vont bientôt commencer sur les projets de Ravine Pintade et Delmas 32. Ces quartiers seront replanifiés, avec de meilleures routes, des services, et les maisons seront reconstruites ou réparées grâce à un financement de la Banque mondiale, de l’Organisme d’aide des États-Unis USAID et d'autres donateurs.
Mais là encore, « l’idée c’est d’appuyer les personnes qui étaient propriétaires de leur logement », selon Adrian.
« C’est de la reconstruction permanente destinée plutôt aux propriétaires avec en parallèle la prise en compte du fait qu’il y aura des gens… qui n’auront pas d’autres options que de rester dans les camps » où on pourra leur « donner des conditions meilleures avec une approche plus souple par rapport à la question foncière pour les abris », renchérit Evangelisti.
Combien de temps faudra t-il attendre avant d’arriver à « ces conditions meilleures » ? Les ONG ont 100 millions pour les abris transitoires… mais les destinataires sont sans abris… Qui sont les responsables de cette situation ? Les bailleurs où les personnes déplacées ? Quelle est ou devrait être le rôle de l'Etat, qui semble se concentrer uniquement sur Fort National et son projet potentiel de 4 000 logements?
Et, après la vie « transitoire » dans les abris « transitoires », installés dans des camps « transitoires » serait-il possible pour les habitants des camps ex locataires qui sont pour la plupart en chomage – peut-être 500,000 à 600,000 personnes – d’économiser jusqu'à un an de loyer et de trouver un abri et une solution permanents? [kft jr gp apr 12/01/2011 03 :00]
Voir aussi Fort National - Entre les gravats... et le doute
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