Ruée vers l’or en Haïti!
Kiyès k ap vinn rich?
Publié le 31 mai 2012
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Haïti est peut-être le « pays le plus pauvre des Amériques » mais cette petite nation est également assise sur une mine d’or.
Le nouveau Premier ministre Laurent Lamothe dit miser sur la richesse qui se trouve dans les montagnes du nord d’Haïti pour sortir le pays de la pauvreté, mais si le passé est garant de l’avenir, l’exploitation de l’or, de l’argent et du cuivre cachés dans les montagnes profitera principalement aux actionnaires étrangers tout en défigurant un paysage déjà dénudé et fragile.
Haïti a peut-être quelque chose à gagner, mais elle a également beaucoup à perdre.
Alors qu’une poignée de cultivateurs gagnent cinq dollars par jour à construire des chemins miniers, et pendant que les journalistes parlent d’un ou deux sites de forage, une entreprise canadienne, Eurasian Minerals, accapare discrètement et minutieusement les permis d’exploration – 53 pour être précis – et conclut des ententes secrètes, vraisemblablement avec l’aide d’un ancien ministre de haut rang, aujourd’hui stipendié.
Cartographie des licences accordées à Eurasian Minerals à la fin de 2011.
Source : Site Web d’Eurasian Minerals
L’aubaine est si belle pour les compagnies minières et tellement néfaste pour Haïti, que le directeur de l’agence nationale responsable des mines les a récemment dénoncées lors d’une entrevue exclusive avec Ayiti Kale Je (AKJ), appelant son gouvernement à rectifier le tir : « Je leur ai dit de laisser les minerais sous terre, les générations futures pourront les exploiter. »
« Les mines font partie du patrimoine national [...] Elles appartiennent à la population, elles n’appartiennent pas aux gens au pouvoir, même pas au propriétaire du terrain », ajoute le géologue Dieuseul Anglade, alors directeur du Bureau des mines et de l'énergie (BME).
Eurasian et son entreprise associée, Newmont Mining, deuxième producteur aurifère mondial, forent également illégalement, de connivence avec certains membres du gouvernement, dans le secteur de Lamielle, dans le nord-est du pays.
La loi haïtienne diffère de celle de nombre d’autres pays. Elle est nettement plus bureaucratique, mais elle prévoit également, au prime abord, un minimum de protection. Pour pouvoir forer – même à des fins d’exploration – les entreprises doivent obtenir une convention d’exploitation minière signée par le Premier ministre et l’ensemble des ministres. Cette convention établit les modalités pour toute exploitation minière.
Eurasian et Newmont attendent actuellement l’approbation finale d’une convention couvrant un vaste territoire, soit environ 1 350 kilomètres carrés. Toutefois, la convention n’a pas encore été signée, en partie parce que pendant le plus clair des 12 derniers mois, Haïti n’avait pas de Premier ministre.
Une équipe d’entrepreneurs fait du forage exploratoire pour la Newmont à
Grand Bois. Les travailleurs ont passé 10 jours à forer un trou de 330 mètres de
profond dans la montagne, travaillant 24/7 à extraire des échantillons.
Trois Dominicains et une demi-douzaine d’Haïtiens étaient supervisés par
un ingénieur canadien. Photo: Ben Depp
« Nous sommes prêts à forer », déclarait Daven Mashburn de Newmont Mining, vers la fin de 2011, en parlant de Lamielle. « Puisque le gouvernement d’Haïti s’en fout […] il nous est impossible de mettre en œuvre nos concessions et cela signifie que les gens ne peuvent trouver d’emplois. »
Pourtant, le gouvernement est loin de s’en foutre. Peu après cette entrevue, les concessions ont été consenties, quoique d’une manière pas tout à fait légale.
« Le gouvernement leur a accordé une sorte de dérogation » a expliqué Ronald Baudin (ministre des Finances d’Haïti de 2009 à 2011 et ancien directeur général du ministère), qui a supervisé les négociations avec Eurasian alors qu’il occupait cette puissante position. « Ils sont conscients du tort qu’ils font à la compagnie… Celle-ci a plusieurs bases, plusieurs camps partout dans le pays, avec une très importante logistique. Elle dépense beaucoup d’argent. Et voilà qu’elle arrive à une étape et reste bloquée, du seul fait que la convention n’a pas encore été signée. »
Baudin, qui a quitté ses fonctions lorsque le nouveau gouvernement de Michel Martelly a été mis en place en 2011, est aujourd’hui un conseiller rétribué du partenariat Eurasian-Newmont qui porte le nom de « Newmont Ventures ».
Toutefois, un protocole d’entente ne saurait l’emporter sur une loi. Aucune dérogation n’est possible en matière de législation.
« Il y a ce qu’on appelle la hiérarchie des lois. D’après cette hiérarchie, un protocole est plus faible qu’une loi. Un protocole ne peut pas annuler une loi. Il ne peut pas autoriser à faire quelque chose que la loi n’autorise pas », a expliqué l’avocat des droits humains, Patrice Florvilus.
Le directeur de l’agence responsable des mines – le BME – n’a pas signé le protocole d’entente.
« Je n’étais pas d’accord, pour la simple et bonne raison que si la loi n’autorise pas quelque chose, … vous n’avez pas le droit de le faire! » d’expliquer Anglade au cours d’une entrevue le 24 mai 2012. Son bureau n’en a même pas reçu un exemplaire.
Ce refus a été peut-être l’une des raisons pour que l’un des premiers actes officiels du nouveau gouvernement Lamothe aura été de destituer Anglade. Anglade, âgé de 62 ans, compte près de 30 années de service au BME, qu’il a dirigé au cours de près des 20 dernières années. Il a une réputation d’honnêteté.
Malgré le refus d’Anglade, le protocole d’entente a été signé par l’actuel ministre des Finances et celui des Travaux publics vers la fin du mois de mars. Ainsi, le 23 avril, Eurasian a pu joyeusement rapporter à ses actionnaires que « le partenariat a obtenu la permission de forer pour certains projets grâce au protocole d’entente; et le forage se poursuit présentement ».
Eurasian et Newmont n’ignorent point la législation et, selon une correspondance avec AKJ en date du 25 mai, semblent croire qu’Anglade a signé le document. Mais tel n’est pas le cas.
Anglade est également en désaccord avec une convention d’exploitation minière qui risque d’être signée sous peu, vu qu’après trois mois d’attente, Haïti a enfin un Premier ministre, Laurent Lamothe, qui s’est engagé à rendre la législation du pays plus favorable aux affaires.
Selon Anglade, la version finale – qu’il a rejetée par l’entremise d’une lettre officielle au président de l’époque, René Préval et au ministre des Finances à ce moment-là, Baudin – est beaucoup plus faible que les deux plus petites conventions minières existantes d’Haïti (pour 50 kilomètres carrés chacune) parce que les principales clauses de sauvegarde ont été supprimées.
L’article 26.5 – des conventions antérieures – plafonnait les dépenses qu’une entreprise pouvait déclarer à 60 pour cent des revenus. Il est à présent caduc, selon le directeur du BME.
« Ce qui veut dire que la compagnie peut venir dire qu’elle a dépensé 90 dollars, qu’il ne reste plus que 10 dollars », dit Anglade.
Une deuxième clause a également été supprimée, dit-il : l’Article 26.4, qui garantissait un partage à parts égales des profits entre les entreprises minières et le gouvernement.
« Durant les 2 années passées à négocier; ma position était claire [...] », de dire cet homme de 62 ans, qui a passé toute sa vie dans la fonction publique et enseigne aussi les mathématiques à l’Université d’État d’Haïti. « Ces 2 articles le Bureau des mines n’a jamais voulu les enlever [...] C’est lorsque le dossier a quitté le Bureau des mines, qu’ils ont négocié et enlevé ces articles. Ce n’est point moi qui les ai enlevés. Après le Bureau des mines [...] ils ont fait une réunion au ministère des Finances [...] C’est le ministre lui-même qui les a ôtés, le ministre Baudin. »
Interrogé à propos de la convention, Baudin a dit qu’il ne pouvait entrer dans les détails. Il a néanmoins déclaré que : « Ce que moi personnellement je puis vous dire, à présent nous avons un texte qui a obtenu le consensus de la compagnie, du ministère des Travaux publics, du Bureau des mines, du ministère des Finances. »
Pas d’après Anglade. « Pour rien au monde je n’enlèverais ces articles », dit-il.
Le ministre des Travaux publics, Jacques Rousseau est le supérieur d’Anglade. Son ministère supervise le BME et est en possession de la convention pendante. Rousseau a refusé cinq demandes d’entrevue; c’est pourquoi l’absence des clauses de sauvegarde dans le document ne peut être confirmée. Cela dit, Anglade jure que les mesures sont absentes, et entre-temps, le protocole d’entente illégal a été rendu public, et Baudin est ostensiblement à la solde de Newmont.
« Je veux que ce soit clair pour la nation » a expliqué Anglade, « le BME n’est pas responsable de ce qui a été fait au profit de l’entreprise jusqu’à maintenant ».
Une photo de Ronald Baudin, à l’époque où il était ministre
de l’Économie et des Finances. Photo: Le Nouvelliste
Lorsque Baudin a été interrogé à propos du conflit d’intérêts potentiel découlant du fait qu’il ait occupé les fonctions de ministre des Finances avant de se recycler immédiatement en consultant à la solde de Newmont, il est resté de marbre.
« Il existe d’autres pays où, lorsque quelqu’un a fini d’exercer de telles responsabilités, il y a une période de temps au cours de laquelle il n’a pas le droit de travailler pour le privé. Mais en la circonstance, il a une compensation. Nous autres, nous n’avons pas cela dans notre législation, » d’accoucher Baudin. « Et aujourd’hui, au moment où je vous parle, depuis mon départ du ministère des Finances, je ne reçois pas une gourde de l’État. Ensuite, je dois manger, n’est-ce pas? Je dois m’habiller [...] »
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